Ce que peut la poésie

En cinq chapitres, Jérôme Thélot a écrit un livre qui, d’une certaine manière, se faisait attendre depuis longtemps.
Non pas seulement à lire cet auteur, toujours avec le plus vif intérêt, comme nous le faisons ici, mais parce qu’il est le premier à répondre de façon, disons ordonnée, à une question, réitérée depuis Hölderlin et avec Heidegger qui semble se résumer, comme le premier l’avait écrit et le second si profondément commenté,  »Pourquoi des poètes, en temps de détresse ? »

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Ce n’est toutefois pas explicitement que se pose ici l’interrogation. Seulement de façon marginale. Mais au cours des cinq chapitres, c’est non seulement ce qu’est la poésie qui est explicité, mais c’est aussi et davantage une « époque de la poésie » qui se trouve mise en lumière. Paradoxe peut-être extrême mais que l’on peut aussi bien, et sans doute sans même forcer le trait, dire essentiel.

« L’origine du poème et ce qu’il peut » (édité par Invenit avec le concours du Centre de recherche en art et esthétique de l’université de Picardie CRAE) nous conduit ainsi de la « Poétique première. Avec Rousseau » jusqu’à « L’époque de la poésie. Avec Bonnefoy » en passant par « La généalogie de Rimbaud », « Chestov, la malédiction et l’écriture » et « Poésie et transcendance ». C’est donc d’un parcours qu’il s’agit. Ou plutôt de la construction ou peut-être de la généalogie-même d’une pensée qu’il s’agit. Ce qui fait de la lecture de ce livre un instant de transparence, de clarté, d’ouverture à une sorte de possibilité qui change notre regard. A tout le moins…

Il faut se répéter sans fin la conclusion de « L’origine du poème… » car « ce qu’il peut », peut-être parce que cela est d’abord insoupçonnable, est cependant infini. Comme l’espoir qui n’est peut-être rien d’autre que ce qui habite nos vies. Dans un livre si bref se trouve mis en lumière de façon éclatante ce qu’il est impératif de (re)découvrir aujourd’hui.

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« Yves Bonnefoy et la philosophie », en compagnie du poète

 

 

 

Alors que les « Œuvres poétiques » d’Yves Bonnefoy viennent de paraître dans la « Bibliothèque de La Pléiade » – édition admirable au demeurant, tant les notices et notes, nombreuses, sont éclairantes du travail poétique comme des « essais » de l’écrivain lui-même – est publié depuis quelques jours un passionnant ouvrage qui porte pour titre « Bonnefoy et la philosophie » (Editions Manucius, Paris 2023).

 

Ce dernier livre – il faut le dire dès maintenant – se constitue autour d’une sorte de miracle : la reproduction sous forme de fac-similé de la main-même d’Yves Bonnefoy d’une intervention « informelle » auprès de professeurs du Collège de France, le 17 janvier 1991, « pour intéresser à Jacques Derrida. » Ce n’est pas tant le caractère « rare » qui fait dire qu’il s’agit ici de miracle que du fait que cela nous montre, avec l’émotion qui l’accompagne et au travers-même du propos du poète, comme du mouvement de sa main, sans doute identique à celle de son intention et de son esprit tout entier, de sa personne, quelque chose d’unique, d’intense, comme la proximité vivante du poète lui-même.

 

Cet événement est fort justement présent au centre de l’édition comme s’il l’articulait et la supportait, la soutenait. De part et d’autre, sous la direction de Jérôme Thélot (lui-même étant l’un des éditeurs du grand volume de « La Pléiade ») on lira, classés sous deux chapitres, des textes de vingt-trois auteurs (dont Thélot lui-même) : « L’héritage philosophique chez Bonnefoy » et « Rencontres et confrontations ». Dire leur intérêt est ici impossible, mais on peut seulement souligner en quoi de terme d’ »intérêt » est bien impuissant en la circonstance.

 

Ainsi « Yves Bonnefoy et la philosophie » se présente assurément comme – plus que le complément des « Œuvres » – on pourrait dire le compagnon sur le chemin de partage avec sa poésie. Ceci serait peut-être plus explicite et surtout plus proche, plus exact. En effet, si la lecture des « Œuvres poétiques » conduit de toute évidence une approche intime de la présence de l’écrivain lui-même, ce livre-ci nous guide alors avec une attention de tous les instants dans cette lecture (et probablement re-lecture), ce qui permet à chacun d’aller de pas mieux assurés et plus encore d’entendre avec toute la lumière possible ce que dit le poète.

 

Comme le souligne Jérôme Thélot dans sa présentation, Yves Bonnefoy n’était pas philosophe. Mais, comme il est dit également, penseur, assurément. C’est cette sorte d’identité entre la poésie et la pensée qu’Yves Bonnefoy nous offre. Ici, en cet instant alors, nous devons certainement être attentifs, attentionnés, ouverts au présent lui-même. Sans doute aussi vers l’avenir.

 

Il faut enfin citer toutes les contributrices et contributeurs de ce beau travail et souligner la qualité de l’édition, la photographie qui présente le livre (crédit Mathilde Bonnefoy) en étant le premier témoignage.

Avec les contributions de Teddy Balandraud, Étienne Bimbenet, Sara Bonanni, Dominique Combe, Matthieu Contou, Natalie Depraz, Jeanne Dorn, Michèle Finck, Georges Formentelli, Ramona Fotiade, Jérôme de Gramont, Yvon Inizan, José Kany-Turpin, Sébastien Labrusse, François Lallier, Baptiste Loreaux, Jean-Philippe Milet, Patrick Née, Ahmet Soysal, Michel Terestchenko, Jérôme Thélot, Bernard Vouilloux, Patrick Werly et un inédit d’Yves Bonnefoy.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Livane Pinet : « La terre de son jardin »

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« Peu de plantes –

qui requièrent peu d’attention

et dont il est facile d’ignorer le nom

 

Y a-t-il même

un arbre pour l’ombre ? »

 

 

Peu de mots il faut au poème pour dévoiler une part essentielle du monde et de la vie.
C’est par ces cinq lignes seulement que débute presque  – c’est ici, disons, sa troisième page ou la troisième séquence – le bref recueil que nous offre aujourd’hui Livane Pinet sous le titre « La terre de son jardin » (éditions La rumeur libre).

 

La poésie n’a besoin que de pauvreté ou plutôt d’un langage qui se retient, qui ne veut rien des arguments, des concepts et des thèses, qui n’a qu’à être et, seulement être, et ainsi à se donner lui-même dans une sorte de nudité.
La poésie est simple et Livane Pinet nous l’offre avec limpidité, modestie, pureté assurée.
Sans doute la poésie est-elle un chemin difficile alors même qu’elle n’est, le plus souvent, pas si souvent reconnue pour ce quelle est.

Mais si cette poésie, comme c’est le cas dans ce « Jardin », est identique à la clarté et à la sincérité, nous saurons au plus profond que le destin de chaque poème est de nous ouvrir au monde.

 

Enfin, il est à noter que « La terre de son jardin » se clôt par un entretien entre Livane Pinet et Thierry Renard, comme une ponctuation presque familière.



Alain Lévêque : « A la rencontre »

Alain Lévêque :

 

« Carnets et notes sur des artistes, 2003-2020″ c’est ainsi qu’est sous-titré le livre d’Alain Lévêque qui paraît aux éditions L’Atelier Contemporain.
C’est là une définition à la fois si modeste et si juste de cet ouvrage dont le titre principal est « A la rencontre », livre, carnets ou notes donc, qui nous conduisent non seulement vers les œuvres de Lucy Vines, de Farhad Ostovani, Anne-Marie Jaccottet, Mantegna, Yves Lévêque et Gérard de Palézieux, mais aussi, par notre lecture, notre écoute, vers l’auteur lui-même.

a-l-235x300 Alain Lévêque dans peinture

Il y a dans ces carnets et notes, une approche délicate, attentionnée et attentive, pas à pas le plus souvent, même s’il ne s’agit aucunement de progression mais plutôt d’une marche lente, qui dès le début, ou plutôt dès l’origine, aurait déjà atteint son but. Sans aucun doute parce qu’il y a dans le travail d’Alain Lévêque une sincérité qui l’anime à chaque instant, sentiment qu’il partage, ou plutôt donne en partage devrait-on préciser, à ses lectrices et lecteurs qui se trouvent de ce fait comme en présence des peintres comme de leurs œuvres.

Dans son texte consacré à Mantegna Alain Lévêque écrit ceci : « L’art esquisse, à mes yeux, ce pays d’une adhésion plus claire à notre condition. Ce pays, sans doute n’existe-t-il que dans l’art – là seulement advient-il parfois, terre pressentie, terre abordée. Victoire de la vie, de l’amour de la vie finie sur la pensée négative de la « mort », qui tient la réalité sous son pouvoir séparateur. »

Ce n’est cependant pas d’une « esthétique » ou d’une théorie sur l’art dont il s’agit. Plutôt peut-être ici d’une pensée, plus proche de la poésie et donc de l’art, de la peinture bien sûr.
C’est à une sorte de parcours, de cheminement attentif et confiant, que cette « rencontre » nous invite. Surtout, n’hésitons pas à partager ces instants comme quelques-uns de notre propre existence.

Pour finir, rappelons-nous que cette année, le même éditeur publiera l’ensemble des écrits d’Alain Lévêque consacrés au magnifique Pierre Bonnard.

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