Ce que nous savons? Tentative – sans doute trop « audacieuse » – de résumé. 31 juillet
Les quelques lignes qui suivent tentent d’apporter une contribution à la lecture de ce que dit Joseph Conrad dans la préface du « Nègre du Narcisse », à l’intuition qu’il a formulé dans ce texte de très haute valeur esthétique. (cf. l’article ci-dessous). Elles sont donc une sorte d’ébauche de prolégomènes ou de préalable à une définition possible de ce que sont la littérature et peut-être aussi et surtout la poésie.
Un jour nous voulons comprendre, nous voulons essayer de comprendre.
Et que voulons-nous comprendre? Sans doute, nous voulons comprendre ce que sont les pierres, les arbres, les oiseaux du ciel, le ciel lui-même, la terre, les étoiles. Sans doute nous voulons comprendre ce qu’est ce monde qui nous entoure et que nous habitons.
Alors commence une sorte de processus que l’on appelle le plus souvent celui de la connaissance. Et débute ce que l’on pourrait appeler dans un regard rétrospectif, l’histoire des sciences. A moins qu’on la fasse précéder (?) par celle des croyances de toutes sortes. Qui sont cependant des formes de connaissance.
D’une façon ou d’une autre (et peu importe quand, comment…) on cherche à comprendre comment tout ceci est possible, comment et peut-être pourquoi (si tant est que « comment » et « pourquoi » soient différents) tout cela est possible: « pourquoi il y a quelque chose et non pas plutôt rien » selon la formule d’un philosophe du siècle dernier.
Et on finit (un jour et peu importe quand, comment…) par se poser la question de se connaître soi-même.
On peut, par une sorte de procès continu, considérer que l’on se prend alors comme objet d’étude de la même manière que l’on prend pour objet les pierres, les arbres ou l’univers tout entier. Et c’est bien souvent le cas. C’est bien souvent ainsi que les choses se passent (la biologie est un exemple de cette démarche, elle qui considère le corps comme comme « corps objet », objet de science, de savoir au même titre que le savoir de la géologie).
Nous voici donc définis à ce moment de notre savoir, de notre connaissance, comme « objets du monde ».
C’est alors que cet objet singulier que nous sommes, dans une sorte de mouvement de réflexion qui pourrait apparaître comme ultime, est compris comme « sujet du monde » et défini ainsi comme sujet dans le monde, par le monde ou pour le monde. Voire, dans un sorte d’accomplissement de la pensée, comme sujet par l’intersubjectivité: c’est alors que le sujet, le « je », l’ego se définit comme sujet parmi le monde des hommes, des autres sujets.
Voici donc ce que nous savons de façon ultime sur le monde: que ce soit le monde des « objets » (ceux-ci peuvent évidemment être des objets abstraits comme ceux de la mathématique) ou le monde des « sujets », qui se confond avec le monde des hommes dans leur spécificité (l’anthropologie et la sociologie étant à comprendre comme faisant partie de la première catégorie à l’intérieur desquels ces savoirs peuvent être rangés; quant à la psychologie, la psychiatrie, la psychanalyse, c’est selon le point de vue..!)
Mais si l’on se pose la question de savoir ce que c’est que « être », alors on ne peut sans doute que se demander ce que c’est que ce regard par lequel je vois et par lequel moi seul voit et peut voir… on ne peut que se demander ce qu’est cette joie ou peut-être cette souffrance que je ressens et que personne ne ressent à ma place, ne ressent comme moi.
Et il s’avère aussitôt que ce regard c’est moi, comme tous mes sentiments, toutes mes affections sont moi et pas différentes de moi. Elles ne sont pas un « moment » de moi-même, une part de moi, mais moi tout entier et rien d’autre que moi. Et qu’ainsi être soi c’est coïncider en tous points avec tout cela. Et que cela n’a pas d’autre nom que la vie, cette vie qui nous habite et que nous sommes, qui n’est rien d’autre que nous, que moi. La vie ce n’est pas du sang, un coeur, des organes, des tissus, des cellules: rien de cela n’explique ce que c’est que vivre et les sciences de l’origine de l’univers, les théories du big bang n’expliquent pas davantage ce que c’est que vivre, là, maintenant, en cette minute. La vie en revanche, c’est bien cela que je suis, agissant, comme un corps sentant, regardant, marchant, éprouvant, affecté par ceci ou cela et d’abord affecté par lui-même c’est-à-dire se sentant soi-même. Cette « action » de se sentir soi-même étant ce par quoi toute action de sentir quelque chose passe, ce par quoi elle est possible, ce sur quoi elle se base et se fonde.
( Pour mieux comprendre ce que veulent dire ces quelques lignes issues, sans doute avec certaines maladresses, de la pensée du philosophe Michel Henry on peut se rapporter à son site www.michelhenry.com avec éventuellement le lien ci-contre et plus particulièrement à ses livres: « Phénoménologie et philosophie du corps », « L’essence de la manifestation », »Auto-donation », « Généalogie de la psychanalyse », et, plus généralement à l’ensemble de son oeuvre. Sur le site internet consacré à Michel Henry il est à noter que l’on peut lire de remarquables résumés de chacun de ses ouvrages rédigés par la main experte et fidèle d’Anne Henry.)
Ce qu’est la vie est sans doute la phase, non pas ultime de notre savoir, mais la phase fondamentale et fondatrice. On pourrait même estimer qu’elle autorise un regard nouveau sur les sciences positives, non pour les « dévaluer »(même si, comme le disent certains astronomes nous ne connaissons que quelques 5% de ce qui est et pas pour des problèmes de distance ou d’espace-temps, bien entendu!), mais au contraire pour leur donner une signification plus exacte, plus précise, plus juste, plus humaine peut-être si ce terme ici a un sens (nouveau également, du point de vue de cette connaissance phénoménologique de la vie).
Dans cette perspective il serait totalement erroné, il faut le souligner, de penser qu’il y a deux formes de réalité, deux réalités, un dualisme pour le dire autrement, d’une part la vie et d’autre part le monde. La vie et le monde, du point de vue de la vie, cela ne fait qu’un, non seulement parce qu’ils sont indissociables, inséparables, impossibles et impensables, l’un sans l’autre, mais bien plus parce que la vie que je suis est aussi la vie du monde et que le monde est vie, sans doute dans toutes ses acceptions y compris comme monde matériel. (Et, à cet égard c’est peut-être là que l’on devrait inscrire toute « écologie »). Ce qui est, par contre à dissocier c’est la vie vivante, la vie qui vit et le monde comme image et comme représentation, la conscience que nous avons dans le processus de la connaissance quand elle est science de l’extériorité et science « extérieure », représentative, re-présentation du monde: là se trouve le dualisme et là seulement.
Ce qu’est la vie nous fait aussi porter un regard particulier sur l’art. L’art ne peut, à la lumière de ce savoir originaire et absolu, comme premier savoir qu’est la vie, être que la recherche constante de faire voir cette vie, de la faire apparaître, elle qui est invisible, non à l’extérieur d’elle-même, mais comme étant celle de l’artiste aussi bien que celle de chacun d’entre-nous.
En ce sens, l’art est un savoir aussi vital que toutes les sciences (que l’on confond souvent avec les techniques, précisément parce que leur condition de sciences positives et objectives ou objectivistes leur permet elles-mêmes de se confondre avec leurs applications au point que ce sont celles-ci qui finissent, dans un mouvement purement utilitariste à justifier celles-là, de même que l’on en arrive à justifier l’Université par l’accès à l’emploi qu’elle permet et par cela seul).
On peut dire évidemment que l’art est plus « vital » que tous les autres savoirs réunis. Mais cela constituerait aussi un abus: de langage, de prétention, de « vision », de compréhension. Il faut plutôt comprendre que tous les savoirs pour être d’authentiques connaissances sont des « esthétiques »: tout alors, comme chez Nietzsche, devient esthétique et il n’y a même de morale qu’artistique (alors que « l’habitude » les oppose si souvent).
La littérature pourrait ainsi être définie, de son côté, comme une sorte de « moyen » privilégié (mais sans doute pas davantage que les autres formes artisitiques) de connaître, de savoir, ce qu’est la vie, de savoir ce que nous sommes, de dire ce que nous sommes.
Et plus particulièrement, pourrions-nous dire alors que la poésie est ce langage-même de la vie, parce qu’elle est un langage, identique à l’affectivité même du poète, parce qu’elle est ce langage qui produit de l’affect alors même que la vie est et n’est rien d’autre que cet affect lui-même.
Présent, ici, là, maintenant: en cet instant. Qui sans doute, revient sans cesse…