« La poésie est affaire de courage… » ou avec Jean Rouaud et « L’imitation du bonheur » 29 août
« La poésie est affaire de courage… »:cette affirmation assurément « nietzschéenne » on la trouve dans un roman de Jean Rouaud « L’imitation du bonheur ». Ce roman, il faut le lire car il est un moment de réflexion, d’apprentissage, de saveurs, de plaisirs, de grâce, d’intelligence.
Pour rendre à celui à qui je dois sa lecture je rappelle que c’est mon ami Serge Bonnery (voir ici même le lien avec son blog) qui en a signalé il y a quelques jours l’excellence. Cela se trouve chez « Folio »: tout le monde peut donc lire « L’imitation du bonheur ».
« L’imitation du bonheur » qui procure maintes émotions, pose aussi quelques questions sur la littérature elle-même. Mais, que personne ne s’en inquiète, Jean Rouaud fait cela avec beaucoup de légèreté et même d’humour.
Dans « L’imitation du bonheur » l’auteur parle à son personnage principal: il lui parle d’elle (« la plus belle ornithologue du monde », Constance Monastier), il lui parle de son histoire, de ce qui va lui arriver, de ce qu’il va lui éviter en racontant son histoire et en prenant garde qu’il n’y ait aucune déroute dans ce récit imaginaire et réel à la fois, il lui parle des autres personnages et de bien d’autres choses encore.
Alors qu’en est-il de la littérature? Qu’en est-il de la fiction? Qu’y a-t-il de « réel » dans un roman? Si la littérature, si le roman est « fictionnel » y a-t-il place pour du réel, pour une biographie vécue, pour le passé même? On pourrait imaginer, il me semble, que toute littérature pour être à coup sûr oeuvre de fiction devrait être de « science-fiction » ou en tout cas se situer dans l’avenir: là où le réel n’est encore que possible…ou aussi bien impossible.
Dans « L’imitation du bonheur » on verra donc Jean Rouaud « ferrailler » avec le roman naturaliste et Emile Zola dont il qualifie la production de « capitulation littéraire ». Ca n’est qu’un exemple…
A l’opposé, Jean Rouaud nous dit combien « le travail de l’imaginaire est le résultat de l’effort de la volonté »,autre affirmation que Nietzsche, sans doute aurait pu signer!
On apprendra aussi des choses passionnantes sur la Commune de Paris, un épisode de notre histoire qui devrait nous faire regarder le monde souvent bien autrement que nous le faisons. Enfin, c’est qu’il me semble! Et qui connaît aujourd’hui Eugène Varlin?
On apprendra aussi beaucoup de choses sur la photographie et notamment comment elle fut possible dès le concile de Nicée! (Pour tous ceux qui sont passionnés de photographie et qui seraient un peu pressés qu’ils aillent directement aux pages 45, 46, 158, 334, 335, 405, 406 -pour ces deux dernières références il s’agit de la photographie comme « témoignage »-) Et pour ceux qui s’intéressent davantage au cinéma il y a aussi des choses passionnantes dans ce livre (pages 217, 271, 362, pour faire vite…)
« L’imitation du bonheur » est un étourdissant roman d’amour (c’est ainsi qu’il faut aimer parce que c’est ainsi qu’est l’amour) et même un roman d’aventure à la fin du XIX° siècle (pendant la Commune et dix ans plus tard). C’est aussi un roman qui s’interroge sur le romanesque, sur la poésie, sur le réel, sur la vérité. Et l’on imagine bien que Jean Rouaud la trouve davantage dans la littérature et dans l’imaginaire que dans le réel et la science positiviste, plus dans « La recherche » que chez les « Rougon ».
Ce roman qui fait revenir Constance Monastier « du pays des morts » (page 613) ce qui fait de l’écrivain une figure éternelle d’Orphée, répondant aussi à « ma pratique habituelle qui…consiste à travers le récit à s’interroger aussi sur la façon de le raconter » (page 445) comme l’écrit Jean Rouaud lui-même, est une sorte « d’oeuvre totale » qui en chaque instant reste cependant si simple, si limpide, si claire.