Tout voir?

stripteaseillustration10111w300.jpg    AVERTISSEMENT

Ce nouvel article nécessite un avertissement préalable: non parce qu’il serait interdit aux pudibonds ou aux moins de dix-huit ans. Il nécessite cet avertissement parce qu’il s’agit d’un article classé (compte tenu en particulier de son mode de rédaction, mais bien sûr aussi en raison de sa  démarche même) dans la catégorie « philosophie » (mais aussi « société » et « danse »). Mais, surtout, parce qu’il  constitue une approche phénoménologique d’une caractéristique de notre temps (qui n’est pas la (seule) pratique du strip-tease ou du « dénuement » plus ou moins pornographique, que l’on se « rassure »: si besoin est!) mais qui est celle de devoir « tout voir », tout dire, ne rien cacher. Ce que l’on appelle du nom absurde de « transparence ». Souvent pour mieux pouvoir dissimuler, au demeurant…

Cela mérite donc avertissement que d’aller ainsi à contre-courant de ce qui se pratique quotidiennement.

Cet article a été rédigé par mon ami Roland Vaschalde, philosophe, spécialiste de l’oeuvre de Michel Henry, auteur du site de la Société internationale Michel-Henry (voir le lien dans la barre de menu) et auteur de nombreux articles sur la phénoménologie de ce philosophe qui fut davantage que notre professeur à l’Université Paul-Valéry de Montpellier.

Ici, il s’interroge de façon extrêmement pertinente sur notre propension à tout voir, jusqu’au nu intégral qui parsème la publicité et bien d’autres « actes publics ».

Avant de laisser ce texte s’ouvrir à ses lecteurs, il me semble qu’un autre avertissement est nécessaire qui serait aussi celui-ci: « Tout voir? » s’interroge Roland Vaschalde à juste titre; mais cela ne veut pas dire non plus qu’il faille dissimuler. Et précisément, le corps s’est assez caché au cours de l’histoire pour qu’il soit dévoilé, pour qu’il soit surtout affirmé, pour qu’il danse sans doute, comme auraient pu le dire Nietzsche ou Deleuze. Ne faisons donc pas ce contresens. Le corps est nu. Ce qui exclut exhibition et voyeurisme…

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 une danseuse du ballet Angelin Preljocaj

 

« Tout voir »,le texte de Roland Vaschalde est ici        Tout voir?   dans danse pdf

 

 

 



Blaise Cendrars, « reporter », écrivain « libertin » et poète éternel

cendrars3.jpg   Blaise Cendrars n’est pas un écrivain dont on parle beaucoup. Un peu comme s’il n’avait plus grand’chose à nous dire. Un peu comme s’il était d’un autre temps.

Je me suis pourtant livré à un petit exercice qui a consisté à rassembler quelques citations de Blaise Cendrars. Elles parlent toutes de lui: de la littérature, de sa vie, de ce qu’il a fait, de la façon dont il se perçoit lui-même.

Outre, que toutes ces propositions me semblent d’une acuité fascinante on remarquera peut-être qu’elles recoupent à leur manière presque tous les textes publiés par « L’instant » depuis son ouverture…

C’est pourquoi elles se présentent aujourd’hui comme une sorte de résumé de ce qui a pu déjà être écrit jusqu’ici.

Et comme une invitation à lire ou relire Cendrars, poète au coeur du monde et homme foudroyé à la main déchirée par la guerre des mondes. Comme une invitation à comprendre qu’entre littérature, art et philosophie il n’y a pas même un pas.

Dans la page « Citations, références… » on trouvera aussi un poème intitulé « Ma danse », signé Cendrars, qui dit toujours la même chose…

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* « Vertige! L’éternité n’est qu’un instant bref dans l’espace et l’infini vous saisit par les cheveux et vousfoudroie instantanément. Le temps ne compte pas. »

* « La « Vita nuova »: on devient un homme nouveau. »

cendrars4.jpg  avec Rémone… 

* « Ecrire n’est pas mon ambition, mais vivre. Maintenant j’écris. »

* « Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie. »

* « Un reporter n’est pas un simple chasseur d’images, il doit savoir capter les vues de l’esprit. »

* « Ici et maintenant: maître du temps. »

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 * « Un libertin, selon l’origine du mot « libertinus »: affranchi, fils d’affranchi, est « celui qui s’affranchit de l’autorité, de la religion, des croyances, de la discipline, celui qui s’affranchit de toute règle, de toute autorité… » « Libertaire » en ces temps de politique, a une nuance politique, donc sentimentale. Je choisis « libertin » : celui qui vit dans la liberté de penser et surtout de sentir et j’accepte le sens méprisant qui est, au moins, franchement sexuel. Le libertin: le représentant de ces esprits qui méprisent le bonheur et qui seuls l’ont peut-être goûté car, grâce à l’ironie, ils ont vécu ne vie grave et ample, intellectuelle et sensuelle, et cont connu toutes les ivresses d’être. »

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 * « Je me sens secrètement fort et joyeux. Le principal c’est que je travaille. »

* « Moi, l’homme le plus libre du monde, je reconnais que l’on est toujours lié par quelque chose et que la liberté, l’indépendance, n’existent pas. »

* « La sérénité ne peut être atteinte que par un esprit désespéré et pour être désespéré, il faut avoir beaucoup vécu et aimer encore le monde. »

et aussi « Ma danse » sur la page « citations… »



Walter Benjamin ou l’achèvement du monde

benjamin6.jpg     Le philosophe Walter Benjamin (18992-1940)est mort à Port-Bou (Espagne Catalogne) à quelques centaines mètres de la France, fuyant la Gestapo. C’était le 26 septembre de cette année noire, de glace et de feu. En cet achèvement du monde.

Le « déroutement » semble être le sentiment naturel, en tout cas pour mieux dire, spontané, du lecteur qui découvre l’oeuvre de Walter Benjamin. Sans doute parce qu’elle est hors des chemins traditionnels, voire hors du discours, du processus du discours, sans doute parce que les contradictions apparentes et même (peut-être) réelles semblent y être fréquentes.

La vie de Walter Benjamin est une suite de difficultés, de souffrances, d’échecs et aussi de quelques reconnaissances parmi lesquelles celle d’Hanna Harendt.

S’intéresser à Walter Benjamin ça n’est pas céder à la facilité, celle de « l’air du temps » ou celle d’une lecture accessible (enfin, disons apparemment plus « accessible » que celle de Hegel, de Husserl ou de quelques autres). S’intéresser à Walter Benjamin c’est sans doute et au contraire, prendre un chemin incertain, le sentier de l’incertitude: sauf celle de l’inquiétude comme être et comme « être-au-monde ». Cela ne constitue, à coup sûr, pas la voie la plus aisée.

« L’instant » propose ici deux « lectures » de Benjamin, deux approches. D’abord celle de notre ami Charles Greiveldinger-Winling. Puis celle que j’ai rédigé. Elles s’opposent peut-être. Les critiques, remarques de la part de tous seront bienvenues.

 

 

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 SUR WALTER BENJAMIN

 

La vie de Walter Benjamin fut une succession d’inaboutissements. Sa vie, ses expériences sont marquées de ce fer-là. Ses œuvres aussi qui sont fragments, fragmentaires et fragmentées, inéditées, parcellaires.

Le chemin de Port-Bou, jusqu’à Port-Bou serait du même ordre. Il serait l’inaboutissement infini, le chemin qui mène bien quelque part mais un quelque part qui est un néant, un nulle part.

Mais « serait » pourrait-on dire, peut-être, seulement. C’est dire que l’on pourrait avoir un autre regard sur Walter Benjamin, et sur son œuvre et sur sa vie.

La vie de Walter Benjamin fut une succession de libertés. Ce qui n’exclut ni les regrets, ni la souffrance, ni les peurs et les craintes. Son œuvre fut une œuvre radicalement libre : une œuvre en dehors de tout système, qui ne prit jamais en considération l’idée même d’un quelconque système, qui n’évita pas les contradictions internes, les allers-retours, mais qui sans cesse fut un refus de la pensée « arrêtée ». Sa vie et son œuvre furent toujours en marche. In-arrêtables. Non arrêtables, si l’on veut.

A Port-Bou, Walter Benjamin savait ou pensait qu’il serait arrêté. Qu’une force plus forte que lui, parce que matérielle, brutale, aveugle, stupide, mettrait fin à sa liberté, à ses errances, à ses peurs, ses craintes, ses espoirs comme ses désespoirs. Il est ainsi allé au bout de sa liberté : celle du pouvoir qu’il avait encore, non sur sa vie, mais sur sa mort.

Dans « La barque silencieuse » (éditions Gallimard) Pascal Quignard rappelle que pour les Anciens (pour les Romains d’avant le christianisme) « la mort volontaire est la possibilité humaine constante », « qu’elle était honorée comme une fierté ».Il rappelle le mot de Caton au moment de son suicide : « Nun emos eimi : maintenant je suis à moi »et celui de Jésus dans Jean X 18 : « Ma vie personne ne me l’enlève mais moi je m’en dessaisis moi-même car j’ai le pouvoir de la prendre. »

Considérons ainsi la mort de Walter Benjamin, non comme un désespoir mais comme la manifestation d’un pouvoir, comme l’affirmation de soi et non la disparition d’un être. Comme un saisissement.  

 

Michel Arcens

 

 

benjamin3.jpg  Le mémorial Walter Benjamin à Port-Bou.

A Walter Benjamin

La vie de Walter Benjamin  n’est-elle pas elle-même allée nulle part ? N’a-t-elle pas, à l’instar de son époque, été fragments ? En même temps quels trajets mènent quelque part (par exemple lorsque Michaux nous dit : « Pas de trajet, mille trajets, et la voie n’est pas indiquée » ?

Ce Port du Bou(t) n’a-t-il pas été ce lieu de la chute, de la catastrophe, où il est tombé d’épuisement, tué ou suicidé ? Mais n’est-ce jamais que la vie qui s’arrête ? Ou bien l’homme qui, lui, ne peut plus aller plus loin ? Y a-t-il une unité ? Ou bien, ne peut-on en dégager, une quelconque, avec une espèce de sens, que rétroactivement, une fois la mort advenue ? Alors le voyageur, le Wandervögel (oiseau migrateur en yiddish), ne donne-t-il pas à voir qu’il n’était de toute manière que de passage, et qu’une obscure usure l’érodait de manière sous-jacente au fil quasi-absurde de ses migrations ? N’est-ce pas cela qu’on appelle la vie ? Et alors, c’est vrai, son œuvre est à son image.

Mais Walter Benjamin fut aussi chassé. D’Allemagne en France, de France vers l’Espagne, de paysages en paysages, d’observations en observations, de pertes en pertes, de bibliothèques en dénuements, d’écrits en dits, et de dits en silence épuisé. Il a certes alors choisi la mort, comme on tombe, en fermant les yeux. Abandonné à l’abandon. Avec une vie, c’est vraie, restée ouverte, comme un corps ouvert, peu à peu vidé de son sang.

Ses écrits, qui ont échappé à la destruction, témoignent de son chemin, de son cheminement, de ce qui a pu échapper à l’oubli, dans les labyrinthes imposés de la barbarie. Alors il est mort comme « un soleil évanoui », comme « un poète assassiné ».

Charles Greiveldinger-Winling



Pierre Bonnard, hors du temps

pierrebonnard.jpg  Pierre Bonnard

« L’art, c’est l’arrêt du temps ».C’est le peintre Pierre Bonnard qui a dit cela. Comme il a dit: plutôt que de peindre la vie il s’agit de « rendre la peinture vivante ». De la même manière, il a exclu toute intention dans son art, à peu près au moment où la phénoménologie de Husserl prétendait, dans un autre domaine, théorique celui-là,  mettre l’intention et l’intentionalité au coeur du système.

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Quand on voit une peinture de Pierre Bonnard on voit un paysage, un miroir et une image dédoublée et inversée, une rue ou les toits depuis une fenêtre, un nu immuable à travers le temps, Marthe sa compagne, son épouse constante, au bain, à la toilette, un jardin, un café, une devanture, une scène de la vie quotidienne: on entre toujours dans une intimité. Dans tous les cas une présence nous atteint, nous frappe, nous sidère, nous immobilise. Il n’y a d’autre sens, d’autre siginification dans une peinture de Bonnard, que les sens éveillés, que l’émotion simple, immédiate, non seulement restituée mais provoquée: la vie montrée, présente, mais vécue, comme intensifiée chez celui ou celle qui, soudain, devant le tableau, vit. Vit, en ce sens que tout se passe comme si nous vivions un peu de la vie du peintre, du sujet du tableau, de ce sujet qui n’est jamais un « monde », un objet, une « intention » de notre regard ou même de celui du peintre. Si Bonnard peint dans son atelier les champs ou les clochers qu’il a rapidement dessinés, c’est parce que ce qui importe pour lui, ce qui est essentiel dans sa conception de la peinture, c’est l’émotion ressentie. Et, il lui faut quelques notes, quelques traits de crayon pour ressentir à nouveau ce qu’il a ressenti du haut de la colline en apercevant les méandres de la Seine ou en marchant dans les rues du Cannet. Et, il lui faut alors seulement son génie « prophétique » (c’est plus ou moins le sens que l’on a donné au terme de « nabi » venu de l’hébreu, lui qui fit partie de ce mouvement esthétique) , tout sont talent de peintre si singulier, pour que nous, nous les ressentions à notre tour, avec lui, dans l’admiration de notre regard.

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La peinture de Pierre Bonnard est une peinture  »hors du temps ». Non pas qu’elle soit intemporelle, non pas non plus qu’elle prétende à une universalité quelconque qui par principe transcenderait l’objet du tableau (cet objet qu’on appelle souvent le « sujet »). Bonnard sait que le temps est un compte, un décompte, une mesure. C’est hors de ce temps mesurable et toujours mesuré qu’il se place. Il est dans cet « instant » dont il a été question ici-même dans d’autres articles. Il est dans cet instant qui n’est pas une fraction du temps mesuré, qui en serait une fraction infime, une seconde ou moins, un millième ou moins encore. Bonnard est, par son art, dans son art et sans doute parce que c’est ainsi qu’est l’art, un peintre de l’instant, de l’ici, du maintenant, irréductible, indépassable et qui est la vie même en tant qu’elle est sa propre épreuve et qu’elle ne peut jamais être déliée ni d’elle-même, ni de nous, ni de rien. Un tableau de 1895 intitulé « L’omnibus » est une magnifique « illustration » de cette instantanéité de la peinture de Bonnard: on y voit en un seul regard et sans mesure, en toute démesure, le mouvement, une scène où tout « bouge ». De la même manière, une stupéfiante photographie qu’il a prise de Marthe, de dos, assise sur son lit, photographie qui semble non pas la figer mais l’immobiliser. L’immobiliser, au sens où celle immobilité est celle d’un mouvement, d’un geste en train de se déployer sous nos yeux et dans notre propre regard.

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 De la même façon, la peinture de Bonnard est une musique. Elle est d’avant la figuration, la représentation, la réalité objective: elle résonne et fait résonner. Et aussi, sans doute parce que les sens ne connaissent entre eux aucune limite, aucune frontière: où commence l’ouïe et où s’arrête-t-elle, où s’arrête-t-elle par rapport au toucher, par rapport au regard? Et chaque sens par rapport à l’autre où commence-t-il, où finit-il? Même les neurologues, les plus grands connaisseurs du cerveau ne peuvent le dire. Même si l’on a une approche positiviste du problème on ne peut répondre à cette question. C’est William Faulkner qui dans une nouvelle intitulée « Fumée » (in « Le docteur Martino et autres nouvelles » Folio Gallimard) a montré cela de façon littéraire. Claude Romano dans « Le chant de la vie » (Essais Gallimard) en a fait la démonstration de façon remarquable.

Paul Gauguin qui à bien des égards est à l’origine de la peinture de Pierre Bonnard fut peut-être le premier peintre musicien parce que sa façon de concevoir et de traiter la peinture mettait en résonances intenses couleurs et formes. C’est au même moment que Nietzsche écrivait une oeuvre musicale, poétique, philologique, philosophique où la musique et la danse étaient les autres mots pour la vie, pour le corps, pour un réel vécu, pour un éternel retour de chaque instant. Peut-être, peut-on faire aussi ce rapprochement…

  serusierthetalisman.jpg  Paul Sérusier « Le talisman »

En tout cas, comme tous les « Nabis » ce groupe auquel il appartint au début de sa carrière, fondé par Paul Sérusier, inspiré par Gauguin, sont but dès ce moment-là était de se départir de tout naturalisme, de tout réalisme, de tout positivisme. Et aussi de tout idéalisme. Pour « dire » un art, une esthétique hédoniste (ce qui n’exclut ni la mélancolie, ni la tristesse, ni la souffrance), une peinture vivante.

 

Pour finir, rappelons qu’après l’exposition Bonnard du Musée d’Art Moderne de Paris en 2006, le musée Fleury de la petite ville de Lodève au nord de l’Hérault (à 35 ou 40 minutes de Montpellier) propose jusqu’au 1er novembre 2009 une très belle réunion de tableaux de Pierre Bonnard.

 

On pourra aussi lire le roman de Guy Gofette à propos de Marthe Bonnard: « Elle, par bonheur, et toujours nue » (éditions Folio Gallimard).

 

 



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