Sur les bords de la Garonne, l’innocence à venir: un séjour avec Hölderlin 27 octobre
Au tout début du XIX° siècle le poète allemand Hölderlin (1770-1843) est précepteur à Bordeaux. Il sait et connaît l’amour interdit sur le bords de la Garonne. Plus tard, il sombrera dans la folie.
Dans la ville de Montaigne, Hölderlin cherche le bonheur, lui le poète « en détresse ».
Le temps ne fera plus rien à l’affaire.
Il dira ces mots qui effacent tout « esprit de géométrie » dans tout esprit, dans toute rencontre, dans tout amour, dans tout bonheur, dans toute vie:
« Oublions que le temps existe et ne comptons pas les jours de la vie.
Que sont les siècles en face de l’instant où deux êtres se devinent et s’abordent ainsi? »
(Hypérion)
Car tout se passe dans l’instant: tout est instant.
Connaissant le visage de l’aimée, Hölderlin dit soudain, reconnaissant la joie qui l’habite alors:
« Songez qu’il y a des hommes qui se prétendent joyeux: mais vous n’avez rien deviné encore de la joie. Songez que l’on peut redevenir pareil aux enfants… » (Hypérion)
Plus tard, au printemps de 1886 à Nice, Nietzsche écrira à son tour:
« Maturité de l’homme: retrouver le sérieux qu’il mettait au jeu, étant enfant » (Par-delà le bien et le mal)
C’est ainsi que s’écrivent les synonymes. Le jeu, la joie, l’instant, le bonheur sont des synonymes. L’innocence aussi. Et c’est au soir que celle-ci advient.
« Plus le temps passe et plus nous devenons jeunes » a déjà écrit Nietzsche dans « Le Gai Savoir ».
(Les bords de la Garonne)
Se souvenant, Hölderlin écrira ceci:
« …Pars donc et porte mon salut
A la belle Garonne
Et aux jardins de Bordeaux, là-bas
Où le sentier sur la rive abrupte
S’allonge, où le ruisseau profondément
Choit dans le fleuve, mais au-dessus
Regarde au loin un noble couple
De chênes et de trembles d’argent…
…Des montagnes de raisin d’où la Dordogne
Descend, où débouchent le fleuve et la royale
Garonne, larges comme la mer, leurs eaux unies.
La mer enlève et rend la mémoire, l’amour
De ses yeux jamais las fixe et contemple,
Mais les poètes seuls fondent ce qui demeure.«
(Souvenir. Hymnes)
Près d’un siècle plus tard, le 2 avril 1936, à Rome, le philosophe Martin Heidegger prononçait un discours qu’il intitulait « Hölderlin et l’essence de la poésie ».
Commentant la parole de « Souvenir », alors que sur le monde tous les dangers et tous les orages s’amoncellent, Heidegger dit:
« La poésie est fondation par la parole et dans la parole…Jamais la poésie ne reçoit le langage comme une matière à oeuvrer…mais c’est au contraire la poésie qui commence par rendre possible le langage…il faut donc que l’essence du langage soit comprise à partir de l’essence de la poésie… »
Et un peu plus loin ceci encore, rappelé par Heidegger:
« La poésie est l’oeuvre la plus dangereuse – et en même temps « la plus innocente de toutes les occupations » selon l’expression de Hölderlin dans une lettre à sa mère.