Marie NDiaye: le réel indicible 26 novembre
« Notre interprétation spécieuse de la réalité, nous a causé tant de mal, tant de peines inutiles! »
C’est ce que nous dit Marie NDiaye.
Que désormais tout le monde connaît: comme « prix Goncourt » et comme « cible » d’un représentant du peuple dans un moment qui n’était malheureusement pas d’égarement passager…
Passons…mais n’oublions jamais. Ce genre d’oubli peut jouer des tours, de mauvais tours.
Passons sur le roman qui a valu le prix Goncourt à Marie NDiaye « Trois femmes puissantes » (éditions Gallimard): « L’instant », décidément, a toujours un temps de retard et ne tient pas rigoureusement le tempo, ni la mesure!
Cette citation liminaire provient d’un autre roman, publié en 2007, que l’on trouve désormais en collection Folio (Gallimard) et qui s’intitule « Mon coeur à l’étroit ».
Marie NDiaye, qui a d’abord été éditée par les éditions de Minuit, est un auteur « minuit ». En tout cas par bien des aspects. Et peut-être par celui-ci qu’il y a dans les histoires qu’elle nous raconte, dans ses romans, de véritables interrogations. Non pas des interrogations sur tel ou tel fait de société, sur tel ou tel comportement individuel, mais sur le fond des choses. Et ainsi, sur le réel, sur la réalité elle-même.
On ne sait pourtant jamais ce qui est « réel » et ce qui est « vrai » dans cette histoire que raconte « Mon coeur à l’étroit ».
Non seulement on ne sait pas de quoi il s’agit: la narratrice est-elle en train de mourir ou non?
Est-elle en train de perdre la vie? Tout le laisse penser.
Même quand elle s’exclame: « J’aime encore la vie, bêtement, brutalement. Ah non, je ne suis pas lassée de vivre… »
Non seulement on ne sait pas de quoi il s’agit. Mais plus, on se demande avec l’auteur ce qui est réel: ce qui fait que quelque chose est réalité ou non.
Et, ce qui est réel est-ce vrai? Ou est-ce le mensonge et le faux-semblant qui seraient réels? Les choses que nous voyons sont-elles claires ou sont-elles floues?
La réalité est-ce ce que je sais, ce que je connais, ou ce que la science sait à ma place, pour moi, en lieu et place et aussi à mon service.
Mais, au bout du compte, la réalité se laisse-t-elle connaître? Tout ou même seulement une partie d’elle-même ne nous échappe-t-elle pas?
Et pour savoir, pour connaître, pour approcher le réel comme tel, de quelles qualités, de quelles capacités faut-il être doué?
Comment répondre à cette question lorsqu’un personnage du roman, personnage qui s’appelle Noget (et dont le nom, à l’instar des personnages de Beckett prête à interprétation) dit à la narratrice:
« Vous êtes la seule dans votre pureté, à ne pas me connaître. »
Est-ce à dire que seule l’impureté, la non-pureté en tout cas, autoriserait une connaissance, une reconnaissance du réel comme tel?
Sans doute ce qui nous est dit, ou plutôt ce qui nous est suggéré par Marie NDiaye c’est que le réel est indicible comme tel. Et que la vérité n’est ni pure, ni très claire.
Et qu’alors le roman a toute sa place dans la vie.
Est-ce pour cela que la narratrice de « Mon coeur à l’étroit » nous dit, se dit: « …A moins qu’il ne me soit échu maintenant d’être l’amie des ombres et de rien ni de personne d’autre? »
N’y a-t-il pas que des « ombres », que du « flou » en nous et autour de nous?
La vérité et le réel « purs » ne seraient que des vanités…et des prétentions stupides. Comme nous en voyons tous les jours.
Méfions-nous de ce qui s’affirme comme le réel, la vérité et qui devient la certitude, qui devient une conviction, une doctrine, un paradigme, une « évidence », une « religion »…
N’est-ce pas seulement, comme les yeux fermés, que nous approchons parfois la vérité?