Marie NDiaye: le réel indicible

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« Notre interprétation spécieuse de la réalité, nous a causé tant de mal, tant de peines inutiles! »

C’est ce que nous dit Marie NDiaye.

Que désormais tout le monde connaît: comme « prix Goncourt » et comme « cible » d’un représentant du peuple dans un moment qui n’était malheureusement pas d’égarement passager…

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Passons…mais n’oublions jamais. Ce genre d’oubli peut jouer des tours, de mauvais tours.

Passons sur le roman qui a valu le prix Goncourt à Marie NDiaye « Trois femmes puissantes » (éditions Gallimard): « L’instant », décidément, a toujours un temps de retard et ne tient pas rigoureusement le tempo, ni la mesure!

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Cette citation liminaire provient d’un autre roman, publié en 2007, que l’on trouve désormais en collection Folio (Gallimard) et qui s’intitule « Mon coeur à l’étroit ».

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Marie NDiaye, qui a d’abord été éditée par les éditions de Minuit, est un auteur « minuit ». En tout cas par bien des aspects. Et peut-être par celui-ci qu’il y a dans les histoires qu’elle nous raconte, dans ses romans, de véritables interrogations. Non pas des interrogations sur tel ou tel fait de société, sur tel ou tel comportement individuel, mais sur le fond des choses. Et ainsi, sur le réel, sur la réalité elle-même.

On ne sait pourtant jamais ce qui est « réel » et ce qui est « vrai » dans cette histoire que raconte « Mon coeur à l’étroit ».

Non seulement on ne sait pas de quoi il s’agit: la narratrice est-elle en train de mourir ou non?

Est-elle en train de perdre la vie? Tout le laisse penser.

Même quand elle s’exclame: « J’aime encore la vie, bêtement, brutalement. Ah non, je ne suis pas lassée de vivre… »

Non seulement on ne sait pas de quoi il s’agit. Mais plus, on se demande avec l’auteur ce qui est réel: ce qui fait que quelque chose est réalité ou non.

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 Et, ce qui est réel est-ce vrai? Ou est-ce le mensonge et le faux-semblant qui seraient réels? Les choses que nous voyons sont-elles claires ou sont-elles floues?

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La réalité est-ce ce que je sais, ce que je connais, ou ce que la science sait à ma place, pour moi, en lieu et place et aussi à mon service.

Mais, au bout du compte, la réalité se laisse-t-elle connaître? Tout ou même seulement une partie d’elle-même ne nous échappe-t-elle pas?

Et pour savoir, pour connaître, pour approcher le réel comme tel, de quelles qualités, de quelles capacités faut-il être doué?

Comment répondre à cette question lorsqu’un personnage du roman, personnage qui s’appelle Noget (et dont le nom, à l’instar des personnages de Beckett prête à interprétation) dit à la narratrice:

« Vous êtes la seule dans votre pureté, à ne pas me connaître. »

Est-ce à dire que seule l’impureté, la non-pureté en tout cas, autoriserait une connaissance, une reconnaissance du réel comme tel?

Sans doute ce qui nous est dit, ou plutôt ce qui nous est suggéré par Marie NDiaye c’est que le réel est indicible comme tel. Et que la vérité n’est ni pure, ni très claire.

Et qu’alors le roman a toute sa place dans la vie.

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Est-ce pour cela que la narratrice de « Mon coeur à l’étroit » nous dit, se dit: « …A moins qu’il ne me soit échu maintenant d’être l’amie des ombres et de rien ni de personne d’autre? »

N’y a-t-il pas que des « ombres », que du « flou » en nous et autour de nous?

La vérité et le réel « purs » ne seraient que des vanités…et des prétentions stupides. Comme nous en voyons tous les jours.

Méfions-nous de ce qui s’affirme comme le réel, la vérité et qui devient la certitude, qui devient une conviction, une doctrine, un paradigme, une « évidence », une « religion »…

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N’est-ce pas seulement, comme les yeux fermés, que nous approchons parfois la vérité?



Henri Cartier-Bresson, un regard sur la vie: « la photographie absolue »

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(photographie H Cartier-Bresson)

Les photographies d’ Henri Cartier-Bresson manifestent à leur façon la vérité de l’instant.

Les quelques lignes qui suivent, plus ou moins « empruntées » au livre de Pierre Assouline, « Cartier-Bresson, l’oeil du siècle » (Folio Gallimard), sont une petite tentative pour évoquer ce qu’il y a dans la photographie, dans l’acte de photographier, et qui en fait un art à part entière.

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(Henri Cartier Bresson)

« Si on veut comprendre Henri Cartier-Bresson , il faut se défaire de la conception traditionnelle du temps et en intégrer une autre, parfois anachronique, où le calendrier des faits ne coïncide pas nécessairement avec celui des émotions. »

C’est ainsi que Pierre Assouline s’exprime.

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(photographie Martin Munkacsi)

Et Henri Cartier-Bresson lui, dit à sa façon:

« J’ai soudain compris que la photographie peut fixer l’éternité dans l’instant…Il y a dans cette image (à propos d’une photo de Martin Munkacsi -ci-dessus- publiée en 1931) une telle intensité, une telle spontanéité, une telle joie de vivre, une telle merveille qu’elle m’éblouit encore aujourd’hui. La perfection de la forme, le sens de la vie, un frémissement sans pareil…Je me suis dit Bon Dieu! on peut faire ça avec un appareil… »

Ce qu’il y a dans le temps de l’émotion ce n’est pas ce qu’il y a dans le temps décompté.

Le temps de l’émotion est celui de la vie. Le temps de la vie est celui de l’émotion.

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(photographie H Cartier-Bresson)

En ce sens que l’émotion n’est rien d’autre que la vie qui s’éprouve elle-même; en tant que cette vie n’est rien d’autre que l’épreuve d’elle-même. 

Et Pierre Assouline encore:

« Vivre l’instant présent, il n’y a que cela de valable. La vie est immédiate et fulgurante. L’actualité appartient déjà au passé. Tel est l’enseignement de son Leica. »

Henri Cartier-Bresson a ces mots dans son texte intitulé « L’instant décisif »:

 » La photographie est, pour moi, l’impulsion spontanée d’une attention visuelle perpétuelle, qui saisit l’instant et son éternité. Le dessin, lui, par sa graphologie élabore ce que notre conscience a saisi de cet instant. La photo est une action immédiate, le dessin une méditation. »

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(photographie H Cartier-Bresson)

La photographie n’est pas un médium. Mieux, davantage: elle est cet instant lui-même, dans lequel et par lequel tout arrive.

« Photographier devient ainsi une sorte d’absolu. Le résultat est secondaire. Seul le geste importe, et la tension jusqu’à l’apothéose. James Joyce en donne l’idée la plus juste à la dernière ligne…et dernière page de son « Ulysse »: « …et son coeur battait comme fou et oui j’ai dit oui je veux bien Oui. » (Pierre Assouline)

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(photographie H Cartier-Bresson)

Et à nouveau:

« Il devine qu’il a réussi un portrait lorsqu’il a capté non une expression ou une attitude, mais un silence intérieur. Quelque chose comme le vide installé entre l’instant et l’éternité. »

Pour que la photographie soit ce regard admirable, sans cesse étonnant, toujours étonné, foudroyé sans doute, ce regard sur la vie que nous propose Henri Cartier-Bresson il faut que tout se passe comme si la photographie était avant tout un regard de la vie. De la vie elle-même. Et, qu’ainsi elle soit, immédiatement, et donc hors de la temporalité, en dehors de ce temps qui s’écoule.

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(photographie H Cartier-Bresson)

Et plus encore qu’elle soit comme antérieure, c’est-à-dire fondamentalement première par rapport à ce temps tel qu’il nous apparaît le plus souvent.

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(photographie H Cartier-Bresson)

Comme le sont sans doute, toutes les créations artistiques.

Et c’est ainsi: « Une photo exceptionnelle relève du miracle, ou plutôt de la poésie. » 

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(photographie H Cartier-Bresson)

Et toujours: « Tout…invite à une méditation sur la part d’ineffable de cette étrange activité humaine qui a partie liée avec le temps et avec la mort…L’instant décisif…apparaît comme une rencontre fulgurante entre la réalité et la ligne de mire issue des rêves de pureté que nous portons en nous depuis l’enfance et que nous projetons sur elle.

Sans un certain état de grâce, Cartier-Bresson ne serait pas Cartier-Bresson. » (Pierre Assouline)

La photographie non plus. Quand elle se veut comme un art…

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(photographie H Cartier-Bresson)

PS: pour plus d’informations et de réflexion aussi à propos d’Henri Cartier-Bresson on peut aller directement, par l’un des liens du blog, sur le site de la fondation Henri Cartier-Bresson.

On peut, à propos d’un sujet connexe, se reporter à deux articles publiés dans ce blog:

* « Le temps invisible de la photographie » (publié le 10/09/2009)

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* « La danse et la photographie: esquisse d’une approche phénoménologique » (publié le 29/07/2009)

Dans une perspective différente, pourtant si proche, on pourra aussi lire le texte intitulé « Une photographie » (publié le 10/09/2009)



Le miroir des écrivains (retour à Venise I: Hemingway, Svevo et quelques autres)

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(photographie M Arcens octobre 2009)

« Dans cette nouvelle en train de prendre forme, de dire avec des mensonges une des vérités que la vérité ne sait pas dire, là était le désir d’Ettore. »

Dans « Quatre saisons à Venise » le livre d’Alain Gerber (éditions Robert Laffont), paru en 1996, l’écrivain italien connu sous le nom d’Italo Svevo apparaît sous son véritable prénom, celui d’Ettore.

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(photographie M Arcens)

L’auteur de « La conscience de Zeno » (Ettore Schmitz de son vrai nom) est ainsi l’un des personnages des « Quatre saisons »; de » l’été », plus précisément, qui clôture ce roman. Il est un personnage de ce roman où les saisons s’exposent dans cet ordre ou ce désordre, comme l’on voudra: le printemps, l’hiver, l’automne et puis enfin, l’été. Où, sans doute l’ordre du monde ne sait pas dire la vérité.

Où c’est celui de la fiction, du roman précisément, qui peut tenter, peut-être de la faire surgir, de la faire apparaître, de la faire devenir comme un rêve.

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(photographie M Arcens)

Voici donc un écrivain qui est devenu le personnage d’un roman.

Ils sont nombreux dans « Quatre saisons à Venise »: outre D’Annunzio et Hemingway qui sont au centre du « printemps », puis de « l’hiver », comme Visconti est au coeur de « l’automne » on y croise plus ou moins fugitivement des personnages qui se nomment Joyce, Tolstoï, Tourgueniev, Faulkner, Pound, Mann (Thomas), James (Henry), Shakespeare, Dante, Cervantes, Fitzgerald, Lewis… et qui sont tous les écrivains que l’on connaît. Ou, en tout cas et à tout le moins, quelque chose comme leurs reflets de fiction.

Mais sans doute davantage.

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(La maison du Titien photographie M Arcens)

Plus avant on aura croisé un certain Leopardi. Mais sauf erreur de lecture celui-ci n’aurait rien à voir avec le génial poète et philosophe…Il en a  pourtant le nom…

Parfois, donc les écrivains deviennent ainsi « objets littéraires ». Je préférerais: « sujets de romans ». Ce qui pourrait signifier à la fois qu’ils en sont les personnages, inventés par un autre de leurs « confrères », mais aussi qu’il s’agirait là d’une autre manière, par un autre moyen, pour eux, de créer de la fiction. Une manière « ironique » sans doute.

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(photographie M Arcens)

Tout ceci tendrait à montrer que fiction et réalité ne sont qu’un. Et que d’un côté ou de l’autre du miroir il n’y a pas deux mondes. Qu’un seul monde est possible.

A quelqu’un qui lui dit:

- « Eh! Je ne me battrais pas avec vos personnages non plus…même si vous me prouviez qu’ils n’existent pas! »

Ernesto (entendons, lisons, par là Ernest Hemingway lui-même, en tout cas l’écrivain devenu personnage du roman d’Alain Gerber), Ernesto réplique de façon « catégorique »:

- « Rassurez-vous, ils existent. »

Ils existent parce que ce qui est dans le roman est réel. Ou, plus exactement, ce qui advient dans l’ordre de la fiction c’est tout ce qui fait que le réel est réel.

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( A San Trovaso photographie M Arcens)

L’écrivain est comme tout artiste; comme tout artiste et comme tout artisan. (Peut-être seulement dans une dimension différente…ce qui reste à voir.)

« Ernesto redressa ses lunettes et, d’une voix solennelle, parla du livre qu’il était en train d’écrire, où tout serait si vrai  » qu’on pourrait prendre chaque mot entre ses mains comme si c’était la chose elle-même. » écrit Alain Gerber.

C’est pour cela sans doute que « Quatre saisons à Venise » se clôt (à quelques mots près) sur cette parole:

 » La seule fraîcheur qu’elle pouvait offrir à Ettore, c’était d’aimer encore une fois – mais du seul amour que réclamait chaque fibre de sa chair: le tendre amour toujours déçu des écrivains pour l’écriture. »

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(photographie M Arcens)



Cette invisible musique…

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(Cecilia Arditto, photographie de Marilyn Mouradian)

Née à Buenos-Aires (Argentine) en 1966, la musicienne Cecilia Arditto a composé une « Musique invisible ».

Cecilia Arditto a composé aussi « El libro de los gestos ». Parmi d’autres oeuvres que l’on peut trouver sur différents sites et notamment sur celui de Cecilia: www.ceciliaarditto.com  

(Dans la rubrique « liens » on trouve maintenant cette adresse ainsi que celle de l’excellent et très beau blog de Cecilia « la cocina de Ce »)

Que la musique puisse être vue, qu’il y ait des gestes de la musique, qu’ils se reflètent ou non dans un miroir (comme on peut le croire sur quelques vidéos) cela est aussi certain que la musique s’écrit parfois avant d’être « jouée ».

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 (photographie Marilyn Mouradian)

Mais que la musique soit invisible cela doit être réfléchi.

« La musique pourrait exister si le monde n’existait pas » dit Arthur Schopenhauer (« Le monde comme Volonté et comme Représentation » livre III, §52).

Pensons à cette extraordinaire aventure d’August von Briesen. Sans voir, dans le noir, il dessinait les musiques qu’il entendait: Beethoven, Lizst, Bartok…Ses dessins ne représentaient pas la musique. Ils étaient comme une interprétation de celle-ci, pas davantage que celle de tel ou tel orchestre. Ses dessins étaient de la musique. Il ne la rendait pas visible.

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(Cecilia Arditto photographie Marilyn Mouradian)

« La musique représente l’irreprésentable, la face cachée des choses…elle est la reproduction d’une réalité antérieure, métaphysique, qui constitue le fond de l’être et l’essence intime de toute chose… »écrit Michel Henry dans son étude sur Briesen (in « Phénoménologie de la vie » III PUF).

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Certaines oeuvres de Cy Towmbly, elles aussi ne montrent rien mais elles nous embrassent: elles nous entraînent jusqu’au mouvement originaire qui nous rend à nous-mêmes et que l’on appelle peut-être « le naturel » ou « la spontanéité » ou « l’enfance »…

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(Cecilia Arditto photographie Marilyn Mouradian)

La « Musique invisible » de Cecilia Arditto exprime par l’entremise des sons la même chose que les dessins de Briesen ou les tableaux, les sculptures, les photographies de Cy Towmbly: quelque chose qui est avant les sons, avant le dessin ou la peinture.

C’est ce que Schopenhauer appelait « la Volonté ».

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Nietzsche après lui, disait en outre: « la vie », « la danse » ou même « le rire »!

« Nul n’a jamais vu la vie et ne la verra jamais », écrit Michel Henry (op cit).



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