Les chansons et la musique de Céline (Louis-Ferdinand)

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 « Là-bas, tout au loin, c’était la mer. Mais j’avais plus rien à imaginer moi sur elle la mer à présent. J’avais autre chose à faire. J’avais beau essayer de me perdre pour ne plus me retrouver devant ma vie, je la retrouvais partout simplement. Je revenais sur moi-même. Mon trimbalage à moi, il était bien fini. A d’autres!…Le monde était refermé! Au bout qu’on était arrivés nous autres!…Comme à la fête!… »

(Voyage au bout de la nuit)

A propos des romans de Louis-Ferdinand Céline, Paul Chambrillon souligne que « son oeuvre…est un plaidoyer incessant pour les rythmes profonds du langage, formulé à travers le sien, le savoureux parler parisien des petites gens. »

Et Céline lui-même dit qu’il faut déplacer très légèrement le sens des mots, des phrases. En tournant autour de l’émotion. Au commencement n’est pas le verbe mais l’émotion. Le travail de styliste est très difficile, dit-il encore.

(in « Céline vous parle »).

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Céline dit aussi : « J’aurais voulu être musicien; le langage musical est évidemment plus émotif. »

Il y a, oui, dans le style de Céline (lui qui faisait du style l’un des principes d’une civilisation), au commencement, au fondement même de son style, non pas une musique, mais la musicalité des mots, la musique des mots: les mots comme musique.

Peut-être est-ce pour cette raison que Céline chantait.

On peut entendre, à volonté, Céline chanter. Puisqu’il existe deux chansons où l’on peut aujourd’hui encore, grâce aux enregistrements, l’écouter.

Ces deux chansons il les a écrites.Paroles et musique. Enfin, musique dictée à Jean Nocetti. C’est Céline qui le dit. Il faut bien sûr le croire. 

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Ces deux chansons on les trouve dans le double CD édité en 2000 par Paul Chambrillon, cité plus haut, pour l’excellent catalogue (toutes musiques et tous documents sonores de toutes sortes confondues) de Frémeaux et associés et intitulé « Anthologie Céline ».

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 Mais surtout il faut entendre Céline.

Cela a plusieurs sens. Et il y a plusieurs façon d’entendre Céline.

Il y a ces deux chansons. Pour l’anecdote. Ou un peu plus…Elles ont pour titre, l’une « A noeud coulant », l’autre « Règlement ». (C’est sans doute Aimable qui joue de l’accordéon en « re-recording ».)

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Il y a aussi, dans cette « anthologie », quatre propos de Céline. Quatre fois on entend Céline. On l’entend parler de l’écriture, de la littérature, de la vie et de la mort. Avec son génie singulier. Lui qui écrit pour être vendu mais « en se foutant du lecteur. Il faut qu’il l’avale… », dit-il, provocateur.

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(le manuscrit du « Voyage »)

On entend donc Céline dans ce double CD dans un « entretien inédit » et dans trois autres entretiens dont l’un s’intitule « Céline vous parle »; dans les autres donc, il est interrogé par Albert Zbiden et Louis Pauwels.

Il y a ce que dit Céline. Mais il y a aussi la façon dont il le dit. Le son de sa voix, sa tonalité, sa façon de rythmer la phrase. Sa « musique ».

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Et puis, il y a des extraits du « Voyage » ou de « Mort à crédit » qui sont interprétés par Michel Simon, par Arletty ou par Pierre Brasseur.

Il y a dans ces enregistrements à la fois la voix de ces acteurs et celle de Céline: de sa langue et de sa poésie. Qui sont, sans doute la même chose.

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(Arletty et Louis-Ferdinand Céline)

Avec Arletty par exemple (dont on découvrira à nouveau le talent, bien au-delà de celui de « L’hôtel du Nord ») c’est Louis-Ferdinand Céline que l’on entend.

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Mais cela est vrai aussi de Michel Simon et de Pierre Brasseur.

Pleinement. Pas seulement parce qu’ils sont tous trois de formidables « interprètes ». Mais surtout, plus essentiellement, parce que Céline est poète, musicien: écrivain.

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(Michel Simon, Arletty et L-F Céline)

Parce que la langue de Céline est sonore.

Parce qu’elle vient de la vie vivante, de la vie telle qu’elle se vit et telle qu’elle s’exprime elle-même.

Dans ce qu’on appelle « la trivialité » en regardant cela avec un certain dédain. Trop souvent. Et que Céline affronte, exprime, de front, brutalement. Comme s’il ne pouvait en être autrement: et il ne peut en être autrement!

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C’est bien de la vie dans son immédiateté qu’il s’agit!

Céline le dit assez!

La vie est là; elle est « mauvaise », malade », « mensongère », comme le souligne Anne Henry dans son remarquable « Céline écrivain » (éditions de L’Harmattan).

Mais elle est là.

Dans les livres de Louis-Ferdinand Céline. Elle est là!

Et qui, alors, ne saurait lire la « préface » à « Guignol’s band I »?

Écoutons un peu:

« …Essayez donc! Chie pas juste qui veut! Ça serait trop commode!

… Tant mieux pour les autres de livres!… Mais moi n’est-ce pas je peux pas les lire… Je les trouve en projets, pas écrits, morts-nés, ni faits ni à faire, la vie qui manque.. »

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Pour dire cette vie, il faut écrire. Il faut faire des « variations » comme il le dit lui-même.

Mais, pour faire des variations, il faut connaître « l’art », la rhétorique, comme celle qu’Auguste Destouches, son grand-père enseignait au Havre au milieu du XIX° siècle.

« C’est mon ancêtre! Si je la connais un peu la langue et pas d’hier comme tant et tant! Je le dis tout de suite dans les finesses!

Mon grand-père Auguste est d’avis. Il me le dit de là-haut, il me l’insuffle, du ciel au fond…

« Enfant, pas de phrases!… »

Il sait ce qu’il faut pour que ça tourne. Je fais tourner!

Le Jazz a renversé la valse. L’Impressionnisme a tué le « faux-jour », vous écrirez « télégraphique » ou vous écrirez plus du tout! »

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(Lucette Almanzor en 1936)

Et encore dans la même introduction à « Guignol’s band », introduction à toute littérature d’aujourd’hui:

« A vous de comprendre! Emouvez-vous! »

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(A Meudon, avec Lucette)



Icare, oubli et mémoire d’un mythe

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 Prologue

« Le vol d’Icare » est un roman de Raymond Queneau.

Mais « Zazie » et son métro ont sans doute étouffé, effacé Icare.

Icare n’est pas un personnage de roman en quête d’un auteur. Icare est, chez Queneau, ce personnage qui s’est échappé du roman, qui s’est envolé.

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Et que son auteur peine, même avec l’aide d’un détective, à retrouver.

Icare est ainsi le sujet d’une métaphore de la création. De la difficulté à inventer un monde, une fiction. Ou bien à imaginer une réalité: tout autant.

On s’intéressera ici, comme sous forme d’une « plaisanterie », d’un divertissement en tout cas, au mythe perdu et oublié d’Icare.

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Cette démarche peut sembler paradoxale: tout le monde connaît plus ou moins le mythe d’Icare. Et l’on sait bien qu’il veut nous apprendre qu’il ne faut pas surestimer ses forces, son savoir, qu’il ne faut pas pécher par orgueil, prétention, qu’il faut rester modeste et peut-être « à sa place ». C’est la version « morale » et quelque peu restreinte du mythe. Ramené à une « sentence ».

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Car nous sommes oublieux des mythes. Ils ont été recouverts par des fables (par d’autres mythes fabriqués pour dissimuler les premiers), par la science et ses applications techniques, par les illusions du « retour aux sources ». Et autres fariboles. Car ça n’est peut-être pas cela que nous dit Icare.

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Voici comment en oubliant les mythes c’est tout simplement l’absence de nous-mêmes que nous avons forgée, que nous ne cessons de fabriquer. Comme si les croyances d’aujourd’hui étaient à la fois la conséquence d’un oubli et la condition de celui-ci. Nous voici sans mémoire. Ou si peu…

Qui sait si les quelques lignes qui suivent nous en disent plus sur Icare, sur le mythe d’Icare que ce que nous savons déjà?

Qui sait si elles contiennent un peu plus de précisions sur la place de cette « histoire » dans la culture grecque?

Cela nous dira, à tout le moins, que ce que nous pensons, ce avec quoi nous pensons parfois, n’est peut-être pas aussi évident que nous le croyons.

Et aussi qu’à tenter de cheminer au coeur d’autres mondes, de mondes et de cultures qui s’estompent mais qui sont aussi proches de nous, si proches que nous nous les cachons souvent, nous pouvons voir notre présent autrement.

 

Le retour du mythe

La puissance du soleil s’avère invincible. Icare y succombe. Lui aussi oublie les mythes: à cause de cela il périt.

Au même moment Dedale réussit son évasion du labyrinthe qu’il a lui-même construit.

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(chorégraphie Blanca Li)

Icare (comme, on l’a vu il y a peu, Sisyphe) symbolise ceux qui veulent sans doute restaurer des cultes anciens à la déesse-lune. Et ainsi à la lignée matriarcale. En tout cas à la puissance féminine. A la féminité comme pouvoir. Comme pouvoir c’est-à-dire comme signe de la continuité, de la pérennité. 

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(chorégraphie Blanca Li)

Contre la science et la technique de son père Dedale, Icare est celui qui incarne la science des rêves.

Au Printemps dans les temps archaïques, tout autour de la Méditerranée, on exécute une danse érotique, la danse de la perdrix, en l’honneur de la déesse-lune. Les danseurs mâles portent des ailes et boitent. Comme la perdrix quand elle est au sol. La perdrix s’entoure de petits oisillons qui sont perdus et qui ne sont pas à elles. Elle les protège.

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(chorégraphie Blanca Li)

En Palestine, une cérémonie similaire s’appelle alors « Pesach ». C’est notre « Pâques ». Elle a gardé des oiseaux les oeufs et les ailes des carillons.

De même, au Printemps, quand on doit changer de roi, on symbolise la fin du règne par sa mise à mort. On choisit un « substitut ». On le pare d’ailes d’aigle qui manifestent son « pouvoir ». On le jette dans le feu de joie du Printemps.

C’est aujourd’hui la Saint-Jean. Et si l’on saute au-dessus du feu, sans se brûler, ce saut décrit dans l’air de la nuit, un demi-cercle qui déjà, figure la lune.

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La Saint-Jean comme la Pâques sont la continuité de rites lunaires.

Il y a aussi des variantes ou des compléments du mythe.

Qui permettent, non d’en savoir plus sur des époques lointaines mais, peut-être davantage sur notre « aujourd’hui » et sur nous-mêmes. Sur ce que nous faisons, accomplissons, sans le savoir véritablement.

Sur ce que nous sommes.

En ces temps encore « archaïques » on jette parfois dans le feu, le substitut du roi, paré qu’il est de ses plumes d’aigle.

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D’autres fois, on le jette d’une falaise d’où il est censé « s’envoler » avant de chuter -comme Icare- dans la mer.

C’est parfois une jeune fille qui s’envole ainsi un instant.

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(chorégraphie Blanca Li)

D’autres fois enfin, on plante une flèche empoisonnée dans le talon du roi. Tous les rois ont un point faible: leur talon. C’est Oedipe, Achille, presque tous.

Le labyrinthe est un sol en mosaïque. C’est là qu’a lieu la danse sacrée de la perdrix.

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C’est de là que s’envole Icare.

La danse est un envol. La chute est sa fin, son but. Non comme désastre. Mais comme accomplissement. Parce qu’elle doit toujours être recommencée.

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Enfin, Icare dit: « C’est du haut de la falaise que le saut est espoir et réussite. »

Il dit plus tard: « Seuls ceux qui savent renoncent. »

Epilogue

Icare est une part de rêve, jamais atteinte, toujours envolée, toujours s’envolant.

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C’est cette part qui va comme s’échappant que, sans doute, Raymond Queneau a voulu dire.

Cette part de rêve qui fait la fiction et la vérité des mythes.

Qui fait la littérature et aussi le monde.

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Cet article est partiellement inspiré par l’interprétation de Robert Graves in « Les mythes grecs » (éditions Fayard/Tel Gallimard)



Les histoires de Sisyphe/Présence d’Albert Camus

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(le site de Corinthe)

« Affrontés à l’histoire la plus vieille du monde nous sommes les premiers hommes – non pas ceux du déclin comme on le crie dans les journaux mais ceux d’une aurore indécise et différente. » (Albert Camus « Le premier homme » éditions Gallimard)

Le mythe lointain et pourtant présent, présent parce qu’actuel, le mythe de Sisyphe est au coeur de l’oeuvre d’Albert Camus.

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Mais de Sisyphe il y a plusieurs histoires.

Sisyphe qui est un homme, un « mortel », est fils d’un dieu. Celui du vent, Eole. Lui-même est le fils de Poséidon le dieu de la mer. Il se peut, toutefois, que le père de Sisyphe ne soit pas cet Eole-là mais le « père », le fondateur, d’une branche de la nation hellène.

Sisyphe a pour épouse la fille d’un autre dieu, Atlas. Celui-ci porte le ciel (et non la Terre comme on le dit parfois par erreur) sur ses épaules. C’est un châtiment de Zeus. (Mais il y a aussi un autre Atlas, roi de l’Atlantide, qui est si juste et si bon qu’il en fit le plus riche et le plus heureux de tous les royaumes de la Terre.)

L’épouse de Sisyphe s’appelle Méropé. C’est l’une des Pléiades. C’est une soeur d’Electre.

Quand les Pléiades apparaissent dans le ciel, au moi de mai, c’est le printemps qui arrive. Elles guident les navires des hommes. En novembre où elles disparaissent, il faut rentrer au port pour de longs mois.

Méropé est la seule parmi ses soeurs à épouser un mortel. C’est elle qui choisit d’être, dans le ciel, la moins brillante de toutes.

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Sisyphe (autrement dit « le très sage ») est double.

Il est un roi de Corinthe, le fondateur de la ville. Il est le père d’Odysseus. (Aujourd’hui, on dit le plus souvent « Ulysse »). Par Anticlée, la fille du brigand Autolycos.

La richesse de Corinthe c’est celle de la source Piréné que l’on trouve derrière le temple d’Aphrodite. Là où se dressent aujourd’hui les statues de la déesse en armes, du soleil aux rayons hérissés et d’Eros avec son arc bandé.

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(le temple d’Aphrodite à Corinthe)

Sisyphe est aussi ce personnage condamné par les dieux dont il cherchait à dévoiler le secret, à le divulguer. Il prétendait sans doute effacer les dieux de l’esprit des hommes. Pour les rendre à eux-mêmes.

Dans le séjour des enfers Sisyphe pousse une pierre en haut d’une montagne. Au prix d’efforts incroyables. Mais cette pierre redescend sans cesse à son point de départ. 

Sisyphe le très sage, réussit chaque fois à la pousser jusqu’au sommet.

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Ces « histoires » à propos de Sisyphe ont plusieurs sens.

Avant d’en venir à celle du mythe, tel que Camus nous en parle, pensons peut-être à ceci.

En premier lieu, la pierre de l’impiété que pousse sans fin Sisyphe est, à l’origine, une disque solaire et la colline ou la montagne symbolisent la voûte céleste.

Ainsi peut-on dire que l’existence d’un culte solaire à Corinthe est certaine.

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En second lieu, il faut observer que cette pierre, Sisyphe n’a jamais été condamné à la porter jusqu’au sommet.

Ce qui lui est assigné c’est de la faire passer de l’autre côté de la montagne.

Arrivé en haut, il devrait être aisé de faire descendre la pierre du « bon » côté. Mais voilà, ce n’est pas comme cela que ça se passe: la pierre redescend sans fin à son point de départ!

Sisyphe ne peut donc réussir à réaliser avec la pierre cette sorte de courbe qui se dessinerait, du bas de la colline à l’autre, en passant par son acmé.

Cette courbe est peut-être celle qui symbolise le pouvoir de la déesse-mère. (La circularité représentant ainsi la féminité et le pouvoir de celle-ci).

Voici ce que cela pourrait signifier:

Avec d’autres, Sisyphe a voulu ré-instaurer un culte ancien. A de nombreuses reprises il s’y est employé, sans jamais y parvenir.

Décidément, Sisyphe est ce héros qui renvoie les dieux à leur séjour et qui assume celui des hommes. Pour toujours.

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Certains se sont interrogés. Sisyphe aurait-il pu être une femme? S’il en avait été ainsi, aurait-elle réussi là où un homme a échoué? Car il y a de l’éternité dans la femme. Et au moins de la constance et de la fermeté. (Il n’est pas vrai que « femme varie ».)

Dans le ciel, la lune qui est l’un de ses symboles, est visible la nuit mais aussi, souvent, le jour. Le soleil ne se voit jamais la nuit. 

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Sisyphe aussi est constant. Et ce que dit le mythe n’est pas affaire de constance.

Sisyphe est lui-même et ça n’est assurément pas affaire de sexe: la femme et l’homme ont un seul destin et l’un et l’autre l’ont ensemble. Sisyphe « parle » pour les hommes comme pour les femmes.

(Ce pourrait être là la figure de « l’égalité » des sexes) 

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Albert Camus est l’un des plus grands écrivains du XX° siècle et de toute l’histoire de la littérature.

Il est aussi -contrairement à une idée reçue- l’un des plus grands penseurs de notre temps. Ce qui en fait l’un des tous premiers, toutes époques confondues.

Camus est un penseur nietzschéen, existentiel. Il nous parle d’autant plus qu’il parle de lui, de lui seul, de chacun de nous, de notre société.

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Camus est un immense écrivain parce qu’il sait une chose fondamentale concernant la fiction: il n’y a pas de fiction sans pensée.

Il écrit (c’est à propos de « La nausée » de Jean-Paul Sartre):

« Un roman n’est jamais qu’une philosophie mise en images. Et dans un bon roman, toute la philosophie est passée dans les images…une oeuvre durable ne peut se passer de pensée profonde. »

Parce qu’il sait qui est Sisyphe, Camus est un philosophe à bien des égards indépassable. Il sait que Sisyphe ne subit pas. Il ne subit ni sa peine ni son destin. Sisyphe est sage.

Camus dit ceci: « Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient…il se sait le maître de ses jours…persuadé de l’origine humaine de tout ce qui est humain. »

Sisyphe a vaincu les dieux!

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Pour cela et à cause de cela, Sisyphe est celui qui sait, comme Camus, que ce n’est pas la fin qui aurait le pouvoir de justifier les moyens.

Ils nous disent ensemble (Camus avec le mythe, les mythes de Sisyphe, et toutes les histoires de Sisyphe peuvent sans doute nous faire comprendre cela -enfin!-) :

c’est seulement le chemin qui compte, seulement la façon dont nous assurons nos pas qui nous fait ce que nous sommes.

Nous pouvons affirmer nos convictions, nos croyances et tout ce que nous voulons. Nous pouvons proclamer le but à venir. Seul est décisif, seule a un sens, notre présence, comme notre acte, ici, maintenant.

Demain aussi: mais toujours dans le seul accomplissement.

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Si la fin ne justifie pas les moyens, seuls ceux-ci pourraient peut-être justifier une fin. Et être la fin eux-mêmes. Ainsi parle Camus. A peu près. Mieux sans aucun doute.

Car sa parole est celle d’une présence constante, d’une présence commune.

 Dans « Le mythe de Sisyphe » il nous dit enfin:

« Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi  juge que tout est bien… La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir le coeur d’un homme. »



Les voyages vers l’infini (Retour à Venise II)

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(photographie M Arcens)

 A la fin du XVI° siècle, en France, du côté de Bordeaux, Michel de Montaigne dit soudain:

« La pièce est enfumée. Je dois la quitter… »

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Il faut parfois partir en voyage. Quand le monde s’avère meilleur sous des cieux plus cléments. Il arrive que le monde ne tourne pas rond. Et qu’il incite à le fuir.

Le siècle en question n’est pas terminé ce 17 février 1600. Ce jour-là, les soldats de l’Inquisition conduisent Giordano Bruno au Campo dei Fiori à Rome. Pour le brûler sur le bûcher. Pour hérésie.

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Pour lui, le monde n’a pas de fin, pas de limites: il est infini. Giordano est le philosophe de « l’Infinito. »

Il affirme que les femmes qu’il aime et qui l’aiment sont infinies. Quand elle porte la vie, la femme est une image de l’infini. 

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(photographie C. Coigny)

C’est à Venise que Bruno est pour la première fois arrêté. L’Europe considère alors unanimement Venise comme le lieu même de la tolérance. Mais Venise a oublié son honneur. Et le pouvoir de la police, celui que Montaigne décrit quelques années auparavant, est immense. Mocenigo, l’hôte de Bruno le fait conduire aux « Plombs ». C’est en 1591.

On l’aurait peut-être libéré. Mais le pape et Rome veillent. Et le doge ne peut s’opposer.

On ne dit pas sans risque l’infini du monde.

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Il y a, à Venise, trois lieux magiques et cachés qui chacun conduisent à des endroits magnifiques. Ils ouvrent la porte sur de nouvelles aventures.

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Hugo Pratt, le créateur de Corto Maltese, dans « Fable de Venise » les désigne tous les trois.

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L’un se trouve dans la calle dell’Amor degli Amici, un deuxième près du pont de le Maravige et un troisième dans la calle dei Marrani à San Geremia dans le Ghetto.

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(photographie M Arcens)

Lorsque les Vénitiens sont las des autorités en place, ils se rendent dans ces lieux secrets. Quand la « fumée » du temps est irrespirable, alors ils ouvrent ces portes. Elles sont pourtant plus ou moins dissimulées au fond des cours.

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(photographie M Arcens)

Ils rejoignent ainsi d’autres temps, d’autres lieux.

Ils voyagent vers l’infini.

Comme avec les livres.

Selon une autre légende il y a sept lieux qui offrent ce pouvoir aux habitants de Venise. Sept lieux dont ils ont le pouvoir de pousser la porte.

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(photographie M Arcens)

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A la même époque, quatre ans avant l’arrestation de Girodano Bruno, en 1587, Claudio Monteverdi est le créateur de la musique de tous les temps: une musique sans fin.

Une musique infinie.

Il écrit à Venise son premier livre de madrigaux à cinq voix.

En voici l’instant:

http://www.musicme.com/Claudio-Monteverdi/albums/Livre-De-Madrigaux-1587—Livre-De-Madrigaux-1651-8424562209213.html

 



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