Icare, oubli et mémoire d’un mythe

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 Prologue

« Le vol d’Icare » est un roman de Raymond Queneau.

Mais « Zazie » et son métro ont sans doute étouffé, effacé Icare.

Icare n’est pas un personnage de roman en quête d’un auteur. Icare est, chez Queneau, ce personnage qui s’est échappé du roman, qui s’est envolé.

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Et que son auteur peine, même avec l’aide d’un détective, à retrouver.

Icare est ainsi le sujet d’une métaphore de la création. De la difficulté à inventer un monde, une fiction. Ou bien à imaginer une réalité: tout autant.

On s’intéressera ici, comme sous forme d’une « plaisanterie », d’un divertissement en tout cas, au mythe perdu et oublié d’Icare.

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Cette démarche peut sembler paradoxale: tout le monde connaît plus ou moins le mythe d’Icare. Et l’on sait bien qu’il veut nous apprendre qu’il ne faut pas surestimer ses forces, son savoir, qu’il ne faut pas pécher par orgueil, prétention, qu’il faut rester modeste et peut-être « à sa place ». C’est la version « morale » et quelque peu restreinte du mythe. Ramené à une « sentence ».

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Car nous sommes oublieux des mythes. Ils ont été recouverts par des fables (par d’autres mythes fabriqués pour dissimuler les premiers), par la science et ses applications techniques, par les illusions du « retour aux sources ». Et autres fariboles. Car ça n’est peut-être pas cela que nous dit Icare.

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Voici comment en oubliant les mythes c’est tout simplement l’absence de nous-mêmes que nous avons forgée, que nous ne cessons de fabriquer. Comme si les croyances d’aujourd’hui étaient à la fois la conséquence d’un oubli et la condition de celui-ci. Nous voici sans mémoire. Ou si peu…

Qui sait si les quelques lignes qui suivent nous en disent plus sur Icare, sur le mythe d’Icare que ce que nous savons déjà?

Qui sait si elles contiennent un peu plus de précisions sur la place de cette « histoire » dans la culture grecque?

Cela nous dira, à tout le moins, que ce que nous pensons, ce avec quoi nous pensons parfois, n’est peut-être pas aussi évident que nous le croyons.

Et aussi qu’à tenter de cheminer au coeur d’autres mondes, de mondes et de cultures qui s’estompent mais qui sont aussi proches de nous, si proches que nous nous les cachons souvent, nous pouvons voir notre présent autrement.

 

Le retour du mythe

La puissance du soleil s’avère invincible. Icare y succombe. Lui aussi oublie les mythes: à cause de cela il périt.

Au même moment Dedale réussit son évasion du labyrinthe qu’il a lui-même construit.

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(chorégraphie Blanca Li)

Icare (comme, on l’a vu il y a peu, Sisyphe) symbolise ceux qui veulent sans doute restaurer des cultes anciens à la déesse-lune. Et ainsi à la lignée matriarcale. En tout cas à la puissance féminine. A la féminité comme pouvoir. Comme pouvoir c’est-à-dire comme signe de la continuité, de la pérennité. 

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(chorégraphie Blanca Li)

Contre la science et la technique de son père Dedale, Icare est celui qui incarne la science des rêves.

Au Printemps dans les temps archaïques, tout autour de la Méditerranée, on exécute une danse érotique, la danse de la perdrix, en l’honneur de la déesse-lune. Les danseurs mâles portent des ailes et boitent. Comme la perdrix quand elle est au sol. La perdrix s’entoure de petits oisillons qui sont perdus et qui ne sont pas à elles. Elle les protège.

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(chorégraphie Blanca Li)

En Palestine, une cérémonie similaire s’appelle alors « Pesach ». C’est notre « Pâques ». Elle a gardé des oiseaux les oeufs et les ailes des carillons.

De même, au Printemps, quand on doit changer de roi, on symbolise la fin du règne par sa mise à mort. On choisit un « substitut ». On le pare d’ailes d’aigle qui manifestent son « pouvoir ». On le jette dans le feu de joie du Printemps.

C’est aujourd’hui la Saint-Jean. Et si l’on saute au-dessus du feu, sans se brûler, ce saut décrit dans l’air de la nuit, un demi-cercle qui déjà, figure la lune.

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La Saint-Jean comme la Pâques sont la continuité de rites lunaires.

Il y a aussi des variantes ou des compléments du mythe.

Qui permettent, non d’en savoir plus sur des époques lointaines mais, peut-être davantage sur notre « aujourd’hui » et sur nous-mêmes. Sur ce que nous faisons, accomplissons, sans le savoir véritablement.

Sur ce que nous sommes.

En ces temps encore « archaïques » on jette parfois dans le feu, le substitut du roi, paré qu’il est de ses plumes d’aigle.

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D’autres fois, on le jette d’une falaise d’où il est censé « s’envoler » avant de chuter -comme Icare- dans la mer.

C’est parfois une jeune fille qui s’envole ainsi un instant.

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(chorégraphie Blanca Li)

D’autres fois enfin, on plante une flèche empoisonnée dans le talon du roi. Tous les rois ont un point faible: leur talon. C’est Oedipe, Achille, presque tous.

Le labyrinthe est un sol en mosaïque. C’est là qu’a lieu la danse sacrée de la perdrix.

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C’est de là que s’envole Icare.

La danse est un envol. La chute est sa fin, son but. Non comme désastre. Mais comme accomplissement. Parce qu’elle doit toujours être recommencée.

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Enfin, Icare dit: « C’est du haut de la falaise que le saut est espoir et réussite. »

Il dit plus tard: « Seuls ceux qui savent renoncent. »

Epilogue

Icare est une part de rêve, jamais atteinte, toujours envolée, toujours s’envolant.

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C’est cette part qui va comme s’échappant que, sans doute, Raymond Queneau a voulu dire.

Cette part de rêve qui fait la fiction et la vérité des mythes.

Qui fait la littérature et aussi le monde.

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Cet article est partiellement inspiré par l’interprétation de Robert Graves in « Les mythes grecs » (éditions Fayard/Tel Gallimard)



4 commentaires

  1. Loumy 6 décembre

    Bonjour je découvre votre blog, très intéressant.
    J’aimerai savoir si aujourd’hui nous pourrions rapprocher Icare d’un autre personnage?
    Merci

  2. michelarcens 8 décembre

    Bonjour,

    Merci beaucoup.

    Je ne sais pas répondre avec quelque logique véritable à votre question, pourtant très intéressante.

    Je pourrais penser – peut-être – à E Snodwen, à quelque « lanceur d’alerte », identifié ou non comme tel par les médias et commentateurs. A quelqu’un qui dit une vérité que la majorité s’emploie à dissimuler.

  3. 1011 25 mai

    A découvrir une version contemporaine mais néanmoins classique : La chute d’Icare pour les Rencontres Philosophiques d’Uriage en octobre 2019. Une chute pour la réflexion … Dessin In situ qui sera présenté à des lycéens pour questionner : La chute d’Icare symbole de la chute annoncée de notre monde ?
    https://1011-art.blogspot.com/p/icare.html

  4. michelarcens 25 mai

    C’est très bien d’organiser des rencontres comme ce que vous faites.
    Sur le fond, je pense que la lecture habituelle de ce mythe est fondamentalement erronée, en tout cas faussée, déviée.
    Il me semble constituer davantage une sorte « d’image » du destin : d’abord un rêve ou plutôt ce qui fait vivre, ce qu’est la vie elle-même, non pas un espoir plus ou moins lointain, une utopie, une ambition inatteignable, mais l’origine même de ce que nous sommes. Puis, sans doute un « inatteignable », une sorte de sacrifice, ce qu’est la fin de l’existence. Mais qui pour autant ne constitue en rien la fin de ce « rêve », de cette vie.
    Il est peut-être indispensable de rapprocher le mythe d’Icare de celui de sa sœur Ariane, qui devint la compagne de Dionysos, afin d’éclairer l’un par l’autre.

    Il me semblerait très « beau » d’arriver à faire comprendre à des jeunes gens que le mythe d’Icare n’est pas une fable de La Fontaine, qu’il ne délivre pas une « morale » mais bien plutôt que, comme la plupart des mythes de la Grèce archaïque et antique, une sorte d’ontologie, une manière de dire la réalité et de faire venir à nous ce qui est proprement fondateur.

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