Comment un roman cela s’écrit! Pylône, Faulkner et Dorothy…

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William Faulkner est l’un des plus grands écrivains de tous les temps.

On peut dire cela, sans doute, pour plusieurs raisons.

Parce que les « critères » des uns ne sont pas ceux des autres. Et parce qu’il y a aussi plusieurs façons de lire et donc plusieurs façons d’apprécier un livre, une oeuvre.

Il y en a même qui n’aiment pas Faulkner.

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Respectons ce sentiment: il y a sans doute tant ou tant d’auteurs que vous et moi n’aimons pas et que d’autres aiment…

Cependant, une des raisons qui peuvent faire aimer l’oeuvre de Faulkner au point de dire qu’il s’agit d’une oeuvre « géniale » c’est qu’elle comporte, en son origine même, tout ce qui fait la littérature.

« Tout ce qui fait la littérature! »: à y regarder de près, on peut, en lisant Faulkner, découvrir la littérature elle-même.

Ce que cela peut bien pouvoir signifier?

Que dans les romans de William Faulkner, à leur source, mais parfois dans l’histoire elle-même,  il y a ce qui fait qu’un roman est possible.

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Et c’est, de façon très visible, le cas dans ce roman qui s’intitule « Pylône », un roman que, parfois, on a dit si peu faulknérien. Alors qu’il est peut-être l’un des plus faulknériens de tous. Parce qu’il révèle tout l’art de Faulkner, tout son génie.

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Dans « Pylône » William Faulkner écrit -c’est le personnage principal, le reporter, qui parle :

« Il s’efforçait d’expliquer ce qu’il ne savait pas. « Je n’avais pas pensé à ça! s’écria-t-il. Je me figurais seulement qu’ils partaient tous ensemble. Je ne sais pas où, mais je croyais que c’était tous les trois, que peut-être, les cent-soixante-quinze dollars suffiraient jusqu’à ce que Holmes puisse… et qu’alors il serait assez grand et que je serais là. C’est elle sans doute, que je verrais d’abord, et elle n’aurait pas un air différent, même si elle était là-bas aux alentours du pylône, et moi non plus, même si j’avais quarante-deux ans au lieu de vingt-huit; il reviendrait des pylônes, nous irions à sa rencontre, et peut-être que, tenant mon bras, tandis qu’il nous regarderait par-dessus la carlingue, elle dirait: « Voici celui qui était là-bas, à New-Valois cette fois-là. Celui qui te payait des glaces. »

Et c’est ainsi que « l’on se fait un roman ».

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C’est ainsi, aussi, que s’écrit un roman! Et jamais autrement!

Il n’y a pas d’autre façon pour écrire que d’écrire au conditionnel: ce qui aurait pu arriver, ce qui aurait du arriver ou ce qui n’aurait jamais du arriver. (Et, dans « Pylône » il y a comme chacun de ces trois cas de figure…)

« Au conditionnel »: un roman n’est pas une histoire vraie.

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Un roman est un rêve: il est plus vrai que la vérité et plus réel que la réalité.

C’est la raison pour laquelle il y a une nécessité impérative du roman. Une nécessité pour vivre, c’est-à-dire pour goûter la vie.

Il faut donc de l’impossible pour qu’il y ait une création, un roman.

Il faut une imagination au-delà de tout réel concret, de tout ce qui advient, pour qu’il y ait quelque chose comme la vie elle-même, comme le désir qui nous fait vivre, qui est cette vie elle-même.

Il faut « se faire du cinéma » pour qu’il y ait au même instant tout ce qui fait un roman, une oeuvre, une « histoire », une biographie, une personne, un personnage.

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C’est pour cela que ceux de « Pylône » sont capables de frôler la mort, de la provoquer dans chacun de leurs gestes. C’est pour cela qu’ils vivent dans leur monde. Presque en dehors du monde.

C’est pour cela que « Pylône » est devenu (en 1958; le roman est paru, lui, en 1935) « La ronde de l’aube », un film de Douglas Sirk. Avec Rock Hudson, Robert Stack et Dorothy, Dorothy Malone aussi « improbable », « impossible » que son personnage de Laverne.

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Le génie de Faulkner ne réside toutefois pas seulement dans sa capacité à « décrire » l’impossible.

Non seulement cela ne suffirait pas. Mais surtout cela pourrait conduire au résultat inverse: à une « fantaisie » si irréelle que personne n’y croirait.

Comme un conte pour enfants…

A l’inverse, son  »secret », William Faulkner l’a dévoilé lui-même.

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Un jour Faulkner a dit la vérité.

Il a dit: « Car si le souvenir existe en dehors de la chair, ce ne sera pas le souvenir; car il ne saura pas de quoi il se souvient… »

Un roman c’est l’impossible, le rêve, mais l’impossible rêvé quand il est incarné.

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C’est là, très précisément que réside le génie absolu de William Faulkner!

Ce rêve incarné, cette chair rêvée, c’est tout cela qui est vécu par les personnages de « Pylône ».

Et, tout d’abord par ce reporter dont on ne connaîtra jamais ni le nom, ni le prénom, qui devrait donc être anonyme alors qu’il est présent, absolument présent, qu’il est la présence même du roman pour le lecteur: à tout instant où l’on peut lire « Pylône ».

Il y a bien évidemment un risque à ce que tout imaginaire soit désincarné, non incarné.

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Seul l’imaginaire dans sa chair, comme le dit Faulkner, est la source du roman, de la création.

Car c’est à ce point-là, à cet instant qu’il est la vie elle-même, dans sa propre source, dans sa propre appartenance, dans son surgissement, dans sa continuité, dans sa « perdurance », dans son désir ou sa volonté d’elle-même.

C’est ainsi qu’un roman est un roman d’amour et qu’il ne peut être autrement.

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Dans sa préface à l’édition française Roger Grenier cite Faulkner parlant du personnage principal, foudroyé par la vision de Laverne/Dorothy:

« Il ne portait pas de nom. Mais il n’était pas anonyme: c’était M. Tout-le-monde. Je suis convaincu que tout homme jeune, même laid…possède en lui-même la capacité d’éprouver un grand amour, de se sacrifier au nom de cet amour pour celle qu’il aime. Mais la plupart d’entre nous ratent le coche. Nous demeurons muets, incapables de communiquer nos sentiments, ou bien notre choix (si l’on peut parler de choix) se porte sur la mauvaise personne, qui se révèle indigne de nous, ou bien trop grande, trop forte pour nous, en tout cas en dehors de notre catégorie. C’est tragique, tirste, vrai, mais c’est préférable à rien du tout. En réalité, mieux vaut aimer qu’être aimé… »

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Mieux vaut aimer: car aimer c’est rêver dans sa chair. Tandis qu’être aimé…

C’est ainsi que Roger Grenier ajoute:

 » Le reporter se heurte ainsi au problème de la grâce, de l’amour impossible, du malentendu. La ténébreuse malédiction faulknérienne le rapproche de façon imprévue de l’absurde. »

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Peut-être est-ce là le prix du roman!

Incarner un rêve: aimer! Voici comment s’écrit un roman.

Dans un avion qui s’envole pour un dernier voyage, et Dorothy Malone qui s’échappe, loin, au fond de l’écran, le coeur battant…

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