« Don Quichotte »: une histoire infinie, impossible.

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(Katy Acker auteur de « Don Quichotte » éditions Laurence Viallet)

Il ya du « Don Quichotte » de Cervantès maints commentaires, voire maintes interprétations.

De qui constitue l’une des œuvres de fiction les plus passionnantes et les plus géniales de tous les temps, il y a même quelques analyses aussi surprenantes au premier abord que fascinantes. Comme celles qui en font une sorte de métaphore de l’histoire du peuple juif et de ses croyances.

Ce qui est le plus étonnant sans doute, extraordinaire assurément, c’est le caractère infini de l’œuvre. En tout cas, son caractère indéfini, indéfinissable, non fini.

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« Quichotte » ne cesse de se poursuivre. Voici un livre qui ne se termine pas par « Vale ».

« Don Quichotte » ne se termine pas.

Rares sont les livres qui ne se terminent pas. Il y a bien « L’Odyssée » et quelques très rares autres dont quelques « nouveaux romans » se sont un temps emparés.

Mais tout cela fut, à un degré ou un autre, plus ou moins donc, « exercice de style ».

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Concernant le Quichotte, c’est différent. Car toutes les épreuves qui poursuivent le chemin du chevalier semblent reposer sur le fait que sa propre quête est dès l’origine et par nature quelque chose qui ne peut aboutir. Et qui ne peut donc s’arrêter.

L’infini du Quichotte c’est encore davantage le fait que le livre semble ne pas commencer et ne pas se clore. Sinon, le début comme la fin, provisoirement.

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(Jorge-Luis Borges)

On se rappelle évidemment que le Quichotte fut écrit, réécrit, par Pierre Ménard. Un Pierre Ménard, Nîmois, qui n’existe pas. Mais Don Quichotte existe-t-il ? Et Cervantès ? Et Borgès l’auteur de « Fictions » et de « Pierre Ménard, auteur du Quichotte » ? Ou plutôt ils ne cessent d’exister ; car la fiction demeure même si son sens peut changer dans la course du temps.

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(Kathy Acker)

Vient de paraître un nouveau « Don Quichotte » signé de Kathy Acker (éditions Laurence Viallet). Cette fois Don Quichotte est une femme… Dans ce livre les citations de Cervantès ( ?) sont nombreuses, cachées ou non. Le livre est le même (comme celui de Ménard) et tout autre, déjanté comme son auteur le fut (Kathy Acker est disparue en 1997, elle avait 55 ans).

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« Don Quichotte », le livre, vit toujours sous toutes les formes et dans tous les sens, mêmes les plus incroyables, les plus « impossibles » qui puissent être. Ce « roman » n’est pas une histoire parmi d’autres, mais une sorte d’histoire tellement impossible, inconcevable, qu’elle est la source de toutes les histoires.

Aussi bien de toutes les histoires que de la nôtre, sans doute.

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Don Quichotte est une oeuvre donc éternelle. Donc, pour tous les enfants. Ici avec Jean Topart et Jean-Pierre Cassel. (On peut préférer celle de Gérard Philipe)

http://www.musicme.com/Miguel-De-Cervantes/albums/Don-Quichotte-3448960283922.html?play=01

Et un « petit tour » par la musique avec José Van Dam. C’est ici:

http://www.musicme.com/Jose-Van-Dam/albums/Sechs-Monologe-don-Quichotte-quatre-Chansons-le-Bal-Masque-0077775923650.html?play=01



Sur une photo de Willy Ronis: « l’écrin de la nudité »

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« A la naissance de ce monde-là, l’espace est si transparent que le monde n’y adhère pas. Chaque objet qui s’installe semble une effraction… J’adore la nudité qui est… une opulence à l’envers, mais une opulence sans mesure. » 

Ces mots sont signés d’un auteur que « L’instant » a souvent célébré. Ils sont empruntés au livre d’Alain Gerber « Paul Desmond et le côté féminin du monde » (éditions Fayard).

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(Paul Desmond)

Paul Desmond fut le saxophoniste du fameux quartet de jazz du pianiste Dave Brubeck. Il fut le compositeur de l’un des thèmes les plus célèbres que cette musique ait jamais donné. Il est intitulé « Take five ».

Mais c’est d’un autre musicien, le merveilleux John Lewis. Il fut le pianiste du magnifique Modern Jazz Quartet.

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(John Lewis)

Le texte cité a cependant d’autres vertus que de s’en tenir à la musique d’un musicien de jazz, fut-il l’un des plus brillants.

La photographie de Willy Ronis qui est ici pourrait être illustrée par les mots d’Alain Gerber.

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Ceux-ci ont cette pertinence de faire que malgré ce que l’on pense généralement, malgré ce que semble montrer cette image, la nudité ne provient pas d’un dévoilement. Elle ne dit pas cela. Mais bien plutôt l’inverse. Voici la raison pour laquelle elle est le sujet de malentendus.

Comme la vérité, la nudité n’est pas quelque chose qui aurait été caché, puis qui serait apparu au terme d’un procès.

Ni la vérité, ni la nudité ne sont « non-cachées ». Pas plus que la musique. Pas plus que la peinture. Pas davantage que la vie. Puisqu’elles sont cette vie-même. Alors, elles sont primordiales.

En restant en tout point fidèle au texte de « Paul Desmond et le côté féminin du monde », à un moment où c’est Desmond qui parle par l’écriture d’Alain Gerber, il faut ajouter ceci :

La nudité, dans sa seule existence, dans son seul fait, « loin d’être un obstacle au regard (Desmond/Gerber dit « au lyrisme ») représente ce qui lui donne… en même temps qu’un écrin naturel sans égal, tout son prix. » 

Et, surtout :

« D’une épure Willy Ronis trouve le courage de ne présenter que l’esquisse. Son art est une vaste abstention, où prennent cependant naissance des initiatives cruciales. »

 

 willyronisbn.jpgwillyronisbn.jpgwillyronisbn.jpg (Willy Ronis) Pour mémoire voici « Take five » par le Dave Brubeck quartet

http://www.musicme.com/Dave-Brubeck/albums/Time-Out-5099706512226.html?play=01

et quelques instants de la musique « nue » et si pure, si originelle de John Lewis

http://www.musicme.com/John-Lewis/albums/Improvised-Meditations-&-Excursions-0081227792268.html?play=01



Segalen, Tahiti et la mémoire perdue

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En 1944, dans un texte intitulé « Funes ou la mémoire » (in « Fictions » éditions Gallimard) l’écrivain argentin Jorge-Luis Borges imagine un personnage doué d’une faculté si vive à tout retenir de ce qu’il voit, perçoit, imagine qu’il ne peut plus penser. Qu’il n’y a plus de place en lui pour la moindre abstraction.

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« D’un coup d’œil, nous percevons trois verres sur une table ; Funes, lui, percevait tous les rejets, les grappes et les fruits qui composent une treille… Il pouvait reconstituer tous les rêves, tous les demi-rêves. Deux ou trois fois il avait reconstitué un jour entier ; il n’avait jamais hésité, mais chaque reconstitution avait demandé un jour entier. » 

Quarante années plus tôt l’écrivain français Victor Segalen commence à écrire « Les Immémoriaux » qui paraîtront en 1907.

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Il s’agit là d’un des livres, sans doute, les plus importants du XX° siècle.

« Les Immémoriaux » sont le livre de l’oubli. Rédigé par un navigateur, médecin, poète et penseur. Par lequel on peut aussi découvrir bien d’autres choses comme un autre monde qui nous est encore étranger, la Chine. Avec son roman intitulé « René Leys » à qui un commentateur, historien, universitaire de haut talent Simon Leys emprunta son nom de plume.

« Les Immémoriaux »racontent de façon très amusante et tragique à la fois (quel est l’écrivain qui comme Segalen peut écrire à la fois une tragédie et une comédie en un seul texte ?) la perte des traditions ancestrales des peuples de Tahiti. Sous le poids des missionnaires. Mais aussi parce que ces Tahitiens eux-mêmes sont empreints d’une culture qui est, en raison même de ses fondements (et surtout pas seulement de son « oralité » comme on l’a dit sottement trop souvent), à même de se laisser submerger.

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« Ils avaient des dieux fétii, des dieux maoris… Ils avaient des chefs de leur race, de leur taille, ou plus robustes encore ! Ils avaient d’inviolables coutumes : les Tapu qu’on n’enfreignait jamais… C’était la Loi, c’était la Loi ! … Maintenant la loi est faible, les coutumes neuves sont malades qui ne peuvent arrêter ce qu’elles nomment crime, et se contentent de se mettre en colère…après ! Un homme tue : on l’étrangle : la sottise même ! Cela fait-il revivre le massacré ? Deux victimes au lieu d’une seule…Vous aves perdu les mots qui vous armaient… Vous avez oublié tout…et laissé fuir les temps d’autrefois. » 

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Ce qui fondait la société polynésienne ça n’était pas une loi rigoureuse, c’était une loi naturelle. C’était une loi qui n’avait jamais séparé ni divisé les hommes, la nature et les dieux. C’était une loi pour laquelle il n’y avait qu’un seul monde.

Ca n’est pas qu’une loi, une loi des hommes ou de Dieu, ou aussi de la nature dont la force est parfois ressentie, lorsqu’elle semble « se déchaîner », comme une loi, ça n’est pas qu’une loi soit meilleure qu’une autre. Mais il y a des lois qui s’imposent d’elles-mêmes et il y a des lois qu’il faut sans cesse imposer. Et que l’on peut s’efforcer d’imposer sans cesse et sans cesse : jamais on n’en aura fini.

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Ca n’est pas la loi que les Polynésiens ont oubliée alors. A moins que « loi » veuille dire « Etre » ou « Vie » ou… y a-t-il un mot pour cela ? Un mot plutôt qu’un autre ?

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Il faut rapprocher cette perte de mémoire de la notion de « l’oubli de l’Etre » qui est au centre de la philosophie de Heidegger et frappa en quelque sorte de sa marque le XX° siècle.(1) Pour longtemps encore. Ce qui fit l’ère de la « technique » que, semble-t-il, ni les guerres ni même les paix, ni a fortiori, ni même les murs qui s’écroulent ne peuvent permettre de dépasser.

Quand on a trop de souvenirs comme le Funes de Borges on ne peut plus penser. Mais c’est là une fable que de n’avoir que des souvenirs qui occuperaient toute la place de nos fonctions « cérébrales ».

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Quand on oublie l’essentiel (dont le « passé » ne doit être perçu que comme une sorte de « figure », d’analogie), quand on oublie ce que nous sommes, quand on oublie le Soi que nous sommes, quand on rejette hors de nous ce qui nous fonde (non pas les traditions de l’histoire d’autrefois mais ce qui nous fonde au plus profond), alors commencent peut-être des « temps de détresse. »

Une façon d’oublier « l’essentiel » c’est d’être fasciné par les images. Au point de les croire plus réelles que le réel, plus vivantes que la vie.

Gauguin ne s’y est jamais trompé qui a privilégié la vie dans ses tableaux.

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Le 15 octobre 1907, trois semaines après la parution des « Immémoriaux », Victor Segalen écrit un article intitulé « Voix mortes : musiques maories ». Claude Debussy était une sorte d’instigateur de cet article. Le musicien était passionné par les propos de Segalen et il l’avait donc encouragé à publier ses réflexions dans « Le Mercure musical ».

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Segalen affirme que la musique était jadis au cœur de la vie quotidienne des maoris. Sans la moindre distinction entre les spectateurs et les exécutants. Pour Segalen « les hommes blancs » ont tout défiguré, tout faussé et ce qui se subsiste, subsiste au prix du reniement. Les « hyménées » d’aujourd’hui, voire les « ute » sont empreints de la musique religieuse des occidentaux (les premiers missionnaires à Tahiti étaient luthériens).

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Oublier la musique c’est oublier le plaisir. Le plaisir d’être ensemble. Le plaisir d’être soi et d’être soi dans une société. Oublier la musique c’est oublier. C’est oublier le désir. C’est à peu près ce que dit Segalen.

« … tous les vivants, sur une île, étaient tous à la fois susceptibles  d’un entrain… » 

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Il y a cependant dans la musique polynésienne d’aujourd’hui qui, parfois, cherche à retrouver ses propres origines en tentant de les débarrasser des apports occidentaux ou alors en les assimilant tant qu’à les estomper paradoxalement, il y a à entendre des échos d’autrefois.

Peut-être même à retrouver la mémoire. A ne pas la perdre entièrement.

Ici, quelques versions de chants polynésiens tels qu’ils s’entendent aujourd’hui:

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http://www.deezer.com/listen-5092471

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(1)    Je peux imaginer sans peine les critiques qui diront que je « mélange » un peu tout sans discernement. Je n’en suis pas si certain.



Walt Withman: les mots et le sang

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UNE A UNE, GOUTTES, TOMBEZ !

Une à une, gouttes, tombez ! en quittant mes veines bleues !

Qui êtes à moi ! une à une, lentement,

Candidement, vous saignez, une à une,

Des plaies qui vous libèrent de votre prison,

De mon visage, de mon front, de mes lèvres,

De mon cœur, de la nuit intime où je me cachais, gouttes rouges exprimées, gouttes de confession,

Maculez une à une mes pages, maculez mes chansons, le moindre mot dit par moi, gouttes sanglantes,

Apprenez-leur votre chaleur écarlate, votre lueur vermeille,

Saturez-les de votre grande honte mouillée,

Rougeoyez sur tous mes écrits passés ou à venir, gouttes qui saignez,

Tout doit être vu à votre lumière, gouttes timides !

 

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Si l’on suit l’auteur de ce poème, Walt Whitman (1819-1892), il n’y a qu’un monde dont nous sommes un élément, il n’y a qu’une nature dont nous sommes entièrement.

Et, quand il y a des mots, des choses dites ou écrites, alors elles sont un moment de la vie, écrites avec le sang.

Comme les fleurs du printemps sont d’autres gouttes de sang…



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