« Eloge de la trahison »: une histoire très littéraire 20 mars
C’est un livre qui n’en est pas un…
Il faut penser, en le lisant, après l’avoir lu, qu’il a l’air de ce qu’il est. Mais qu’il est aussi bien davantage.
Quand on lit « Eloge de la trahison », le livre que Jacques Aboucaya vient de signer aux éditions du Rocher, on découvre une œuvre faite de mille choses : de références multiples, d’une intelligence malicieuse et drôle, d’une écriture élégante et joyeuse – le narrateur s’amuse autant qu’il nous intrigue et nous abuse, et nous fait sourire et souvent rire,s’il ne nous effraye pas parfois – jusqu’à une « chute » digne d’un film d’Hitchcock.
Cela est beaucoup. Et cela suffirait largement à mettre cet ouvrage « en première ligne » des quelques pages de « L’Instant ».
Mais il y a autre chose. Car tout cela c’est ce qu’« Eloge de la trahison » semble être : ce que ces quelques cent trente cinq pages nous disent de toute évidence.
Seulement voilà, « Eloge de la trahison » c’est aussi une traîtrise. « Eloge de la trahison » ne nous ment pas. Non,
Jacques Aboucaya – quoi qu’il en dise, sans doute ! – reconnaît dans latrahison tout ce qui fait la vie. Si c’est le cas, croyez-vous qu’il n’aurait pas profité de l’aubaine de signer un tel ouvrage, pour trahir son lecteur ?
Ou bien il ne l’a pas fait et il ne pense pas véritablement ce qu’il dit. Ou bien il est sincère – ce que je crois, faut-il le
répéter ? – et alors, il y a là quelque détournement du sens, quelque mise en abîme peut-être, quelque autre piège au détour d’une formule ou d’un chapitre, qui ne sont là que pour nous abuser et trahir notre naïveté, notre confiance de lecteur.
Pour essayer de démasquer la trahison (faut-il la dévoiler toujours, est-ce même possible ? rien n’est moins certain ; mais,
pour une fois, le cas étant trop grave pour le coup, il m’a paru de mon devoir d’avertir le lecteur !) pour démasquer sinon le traître, mais au moins ce qui se cache dans ce livre, je ne sais s’il faut être grand clerc ! Je ne pense pas. Bien au contraire. Il faut se laisser aller. Il faut se laisser aller au fil de l’écriture, de la littérature, de la vie.
Le livre s’ouvre sur une citation qui nous dit : « Si de la vie tu supprimes la trahison, qu’y laisseras-tu ? » L’auteur de cette interrogation est un écrivain espagnol du nom d’Eduardo Zamacois qui donne au livre le ton borgésien que son auteur ne désavouera certainement pas – et y a-t-il un auteur plus « traître » que ce génial argentin de Borges qui d’une référence savante passe sans trembler à une autre parfaitement inventée ? – cela doit éveiller toute notre attention. C’est un « signe » que Jacques Aboucaya n’aurait pas du placer en évidence. Il s’est trahi en quelque sorte lui-même. Il a laissé plus qu’un indice, un aveu !
La preuve définitive, la voici : l’auteur défend sans cesse le paradoxe, il nous fait comprendre que ce sont nos contradictions qui nous font vivre, que nous n’espérons que parce que nous pouvons renoncer à nos engagements et que c’est toujours plus ou moins par la queue que le diable se poursuit.
En fait, ce que « Eloge de la trahison » nous dit (mais sans le dire véritablement, sans le dire ouvertement – quoi que… quand on relit… on puisse, il est vrai, penser autrement sur ce point précis) c’est que la littérature est une trahison. Que la littérature est d’abord trahison. Qu’il faut être un traître pour écrire, qu’il ne faut pas prendre les choses comme il semble qu’elles sont pour faire un livre. Non pas que les livres mentent. Bien au contraire. La littérature dit la vérité, la réalité et la vie. C’est pour cela qu’elle est fondée sur la trahison la plus profonde et sans doute, la plus indicible.
« Eloge de la trahison » en fait, est un hommage à la littérature, une sorte d’histoire littéraire et quelque chose comme le plus important commentaire de texte, de tous les textes passés, présents et futurs – un peu comme Borges, encore lui, l’aurait imaginé – qu’il nous ait jamais été donné de lire.