A l’Orient de Michel Henry par Roland Vaschalde 20 novembre
Voici un livre[1] qui interroge, qui s’interroge, qui affirme aussi – et cela chaque fois que c’est nécessaire, jamais davantage. Voici donc un livre rare. Ce livre commence (presque) par une question, celle du philosophe Michel Henry (1922-2002) à laquelle ce dernier apporte lui-même une réponse, une réponse cependant qui ouvre un champ considérable de questionnement pour qui veut bien y prêter justement attention. Cette question est celle-ci : « Comment… parvenir à la vie véritable pour l’homme naturel perdu dans le monde ? Question mal posée : dans la vie, nous y sommes déjà »[2]
Dans ce livre l’auteur met en regard (comment le dire autrement ?) au travers d’une quinzaine de textes (autant de fragments) ce que l’on pourrait appeler les « philosophies orientales » avec l’œuvre de Michel Henry. Ce projet pourrait surprendre, notamment de ce côté du monde, pour ceux qui sont peut-être plus familiers avec la lecture et la compréhension d’un penseur de l’Occident qu’avec les dites philosophies venues du côté du monde où le soleil (pour nous) se lève. Même si elles sont « à la mode », même si on feint parfois de les connaître et de les comprendre. Ce projet pourrait surprendre d’autant plus – mais on ne précisera pas ici pourquoi, il y faudrait une étude entière sans doute ! – que les incompréhensions du bouddhisme, de la pensée zen, de certaines religions hindoues sont aussi totales que celles qui concernent parfois la phénoménologie matérielle dont Michel Henry, penseur génial à nos yeux, non seulement de notre temps mais plus profondément encore de notre condition la plus fondamentale, fut le fondateur dès le mi-temps du XX° siècle. A cause même de cela on pourrait dire que les unes et l’autre ne sont pas aussi étrangères qu’il semblerait à un premier regard même averti des unes et de l’autre, précisément. C’est ce que Roland Vaschalde, dans une quinzaine de textes montre et démontre avec – et c’est souvent une sorte de tour de force – une simplicité, une évidence totales en même temps qu’avec une grande culture, une formidable connaissance tant de l’Orient que de Michel Henry dont il fut l’élève et l’ami, parfois le confident intellectuel.
Lorsqu’on n’est pas féru de textes venus de l’Orient on se passionnera de toute façon pour ce livre. Parce qu’il les fait découvrir avec ce que l’on peut bien, sinon comprendre, au moins ressentir, comme une grande pertinence. On se passionnera pour ce livre, si l’on est convaincu que la philosophie de Michel Henry constitue une pensée considérable d’intelligence pour les hommes que nous sommes, nous qui vivons et qui n’avons de cette vie précisément, le plus souvent dans notre culture, dans nos savoirs, qu’une conception erronée. On se passionnera pour ce livre parce que, de la phénoménologie de la vie il dit, là aussi de façon simple, totalement pertinente, quelque chose qui aurait du être prononcé depuis longtemps par les commentateurs (pourtant souvent extrêmement avertis) de Michel Henry, qu’une philosophie de l’immanence qui se dit dualiste serait contradictoire si « l’idée de dualité, dans ce cas, n’avait pas une valeur tout à fait spéciale lorsqu’elle intervient pour caractériser les structures ultimes de l’être. Elle ne signifie plus alors… une dualité de deux termes à l’intérieur d’une même région ontologique, mais plutôt l’absence de toute dualité, car elle est ce qui rend possible l’expérience, qui est toujours une unité »[3]
L’intérêt de ce livre est donc au moins double. Il est tout autant, en effet, celui de montrer que la vérité n’a besoin d’aucun savoir constitué pour se dévoiler, qu’elle est ce dévoilement et qu’elle se confond avec ce qu’elle est précisément, son propre auto-dévoilement[4] que celui de rapprocher les analyses de Michel Henry avec quelques textes orientaux que le philosophe pourtant ignorait.