La poésie et la photographie: Jean-Jacques Gonzales (texte de Jérôme Thélot) 30 mai
« Le travail photographique de Jean-Jacques Gonzales » par Jérôme Thélot (L’atelier contemporain éditeur) est un livre où le texte éclaire pas à pas les images.
Mais où les photographies elles-mêmes sont comme des textes, comme des sujets qui s’offrent à nous et qui, ce faisant, nous demandent de les décrypter : en quelque sorte, de les lire. Non pas seulement de les voir, de les regarder, de les scruter de notre regard, de les admirer comme de beaux objets. Là se trouve leur force, leur puissance, l’étrange fascination qui les habite et qui provoque notre regard.
Les photographies de Jean-Jacques Gonzales possèdent une étrangeté qui les distingue de tout autre travail photographique.
Bien sûr « étrangeté » peut désigner une sorte de spécificité. Alors on dirait que les images de Jean-Jacques Gonzales sont reconnaissables parmi toutes les autres. Ce serait une sorte de distinction, de reconnaissance d’un art qui lui serait propre. Et ce serait déjà remarquable, en effet.
Mais ce n’est pas tout à fait de cela qu’il s’agit. Ces photographies sont « étranges » en ceci qu’elles présentent chacune quelque chose qui dérange le regard. Et que, le plus souvent, on ne distingue pas clairement, que l’on peine à voir, à identifier, mais que l’on perçoit, que l’on ressent sans aucun doute.
C’est comme s’il y avait en chacune d’elle un objet « indistinct » qui troublait notre perception.
Et, souvent, lorsque nous le cherchons, nous ne le trouvons pas. Sinon au prix d’un effort du regard ou de l’attention tout à fait inhabituel.
Les photographies de Jean-Jacques Gonzales sont belles – elles ont sans aucun doute leur beauté propre – jusque dans cette sorte « d’écart » où elles tiennent la réalité du monde « tel qu’il est », tel que nous le voyons, tel que nous nous le représentons communément. Et en raison même de cette particularité. Car c’est tout le déploiement du monde que nous montre le photographe. Mais elles comportent aussi comme une contradiction : on y voit souvent quelque chose qui ne semble pas être du monde ou qui, à tout le moins, du monde, nous fait apercevoir davantage que ce qui semble le composer au premier regard.
Le texte de Jérôme Thélot (dont on rappellera qu’il est l’auteur d’une « Critique de la raison photographique « , éditions Encre Marine 2009) est pourtant essentiel. Non pas que l’on ne puisse découvrir fort heureusement le sens du travail de Jean-Jacques Gonzales que grâce à celui-ci, mais parce qu’il nous permet de mieux – c’est-à-dire de plus profondément, plus intensément encore – découvrir la révélation que manifestent ces images, proprement extraordinaires. Que, finalement, il les éclaire, en souligne avec, pourrait-on dire, une grande lumière, la puissance et la spécificité. Et, par exemple, ici :
« Aucune vue d’intérieur ; aucune figure humaine ; de rares traces d’ouvrage humain ; mais pas non plus de discours (sinon parfois l’esquisse d’un récit interrompu) ; et certes pas d’éloquence du ciel où le regard se divertirait de son vrai problème…/…On a ici déblayé l’image de toute rhétorique mais on n’a pas renoncé à la question posée par l’inadéquation des mots ; et on a trouvé dans les seuls moyens plastiques de quoi reformuler toujours cette seule question. L’expérience photographique de Jean-Jacques Gonzales est assez résolue à l’élucidation de sa « source » dans le conflit entre absence et regard, entre privation et adhésion, pour qu’on la nomme non pas seulement un art, mais une expérience de poésie. »
C’est ce qu’écrit si justement Jérôme Thélot et qu’il faut reconnaître désormais : la poésie de chacune des photographies de Jean-Jacques Gonzales.
Et tout son travail comme poésie.
Il faut souligner enfin la remarquable réussite éditoriale de cet ouvrage, de la qualité graphique, à celle de la reproduction, « l’objet » lui-même ajoute à la pertinence des propos, que ce soit celui du photographe ou celui de l’auteur.
Notons aussi que le livre se conclut sur le « journal photographique » de Jean-Jacques Gonzales qui porte le beau titre de « La fiction d’un éblouissant rail continu. »
Parution le 5 juin 2020 (200 p, 110 reproductions, 30€, L’Atelier Contemporain éditeur)
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