Un voyage avec Gauguin: « une musique de sauvage » (chapitre II)

gauguin223.png

Dans « Noa noa », Paul Gauguin écrit à son propos:

« …il restera toujours le souvenir d’un artiste qui a libéré la peinture…dans mes oeuvres il n’y a rien qui surprenne, déroute, si ce n’est ce « malgré moi de sauvage », c’est pourquoi c’est inimitable. »

gauguinselfportrait.jpg  Les tableaux de Paul Gauguin sont donc devenus, au coeur de l’océan Pacifique, des « musiques composées par un sauvage ». 

Depuis Tahiti, en 1899, il écrit une lettre à André Fontaines où il dit:

 » Violence, monotonie de tons, couleurs arbitraires…ces répétitions…au sens musical de la couleur, n’auraient-elles pas une analogie avec ces mélopées orientales…Pensez aussi à la part musicale que prendra désormais la couleur dans la peinture moderne. La couleur qui est la vibration de même que la musique… »

tahiti5.jpg

Treize années auparavant, en 1886, on pouvait lire ces mots, prévoyants de l’avenir:

 » La musique offre aux passions le moyen de jouir d’elles-mêmes…Nul ne devinera d’après ma peinture la splendeur de votre aurore, étincelles soudaines, merveilles de ma solitude… »

Dans « Par delà le Bien et le Mal » comme dans toute son oeuvre, Friedrich Nietzsche est musicien, musicien et peintre, ce qui est la même chose. Ce qui est la même chose qu’être artiste ou philosophe. 

La philosophie de Nietzsche est toute une musique. Elle est une musique du corps: elle est une danse.

 tahiti31.jpg

De même les musiques de Polynésie, encore aujourd’hui: « ute », « hymene », « tamure »…sont des danses. Même si on ne fait que les jouer ou les entendre. Elles sont des chants: ce qui est tout pareil.

gauguuin21.jpg

En 1902, Paul Gauguin, lui aussi prévoyant, aussi prophète que les « nabis » eux-mêmes, dit:

« Ne vous y trompez pas, Bonnard, Vuillard, Sérusier, pour citer quelques jeunes, sont des musiciens… »

Assuré qu’en Polynésie (« là où la musique n’est que danse, là où l’âme n’est rien d’autre que le corps ») on se situe au-delà de toutes les valeurs. Surtout quand elles sont entendues comme « morales », « moralisantes » ou « moralisatrices ».

Alors Gauguin prétend:

« Le noa noa tahitien embaume tout. Moi je n’ai plus conscience du jour et des heures, du mal et du bien: tout est beau, tout est bien. »

gauguin83.jpg

 Il peut écrire à August Strindberg le 5 février 1895:

« L’Eve que j’ai peinte (elle seule), logiquement peut rester nue devant nos yeux. La vôtre en ce simple état ne saurait marcher sans impudeur, et, trop belle (peut-être), serait l’évocation d’un mal et d’une douleur ».

tahiti71.jpg

C’est ainsi que Paul Gauguin est un sauvage! Non pas un « bon sauvage », ou alors un sauvage qui ne connaîtrait que ce qui est bon et plus ce qui est bien ou mal.

« Ce qu’on fait par amour s’accomplit toujours par delà le bien et le mal »: c’est là l’affirmation proférée par Nietzsche!

Exactement au même moment (1892), Gauguin écrit de son côté:

« La civilisation s’en va petit à petit de moi. Je commence à penser simplement… »

tahiti1.jpg

Paul Gauguin est un « sauvage » et un « musicien ». Sans doute parce qu’il est un peintre.

Dans une entretien avec Eugène Tardieu, publié par « L’Echo de Paris » le 15 mars 1895, le peintre sauvage s’exclame: 

« Tout dans mon oeuvre est calculé, médité longuement. C’est de la musique, si vous voulez! »

Voici pourquoi Paul Gauguin est sans doute un philosophe. Au sens où Nietzsche le fut. Un sauvage et un musicien: c’est tout comme! Comme un peintre!

C’est ainsi que s’écrivait dès 1872  »La naissance de la tragédie »:

« La musique, c’est l’idée vraie du monde…la musique atteint immédiatement au coeur. »

Comme la peinture et les couleurs de Paul Gauguin.



« Le recours aux forêts » ou portrait du philosophe en artiste (…avec Michel Onfray)

447.jpg   ( photo M A. février 2009)

 

*  « Le recours aux forêts », (éditions Galilée) le dernier livre de Michel Onfray, est une commande d’écriture de la Comédie de Caen-Centre dramatique national de Normandie. Ce texte, sous-titré « La tentation de Démocrite » est destiné à être « le coeur » d’un spectacle qui sera créé au mois de novembre à la Comédie de Caen, théâtre d’Hérouville, dans le cadre du festival « Les Boréales. »

 onfray.jpg (Michel Onfray)

Il s’agit donc d’un « spectacle vivant » dirigé par Jean Lambert-wild; la musique est de Jean-Luc Therminarias, la chorégraphie de Carolyn Carlson, les images de François Royet etc…artistes qui ont déjà des expériences communes. Michel Onfray est l’auteur du texte, comme on l’a vu. Voici donc le philosophe prenant part, au moins au travers de son écriture, à la musique, à la mise en scène, à la chorégraphie…     

carolyncarlson4.jpg (Carolyn Carlson)

royet.jpg 

(une « image » de François Royet)  

royet2.jpg 

(en répétition…) 

Voici donc un philosophe qui devient artiste. A moins qu’il s’agisse d’un artiste qui soit aussi un philosophe. Parce qu’on ne peut jamais être l’un sans être l’autre. Et si, comme le dit Michel Onfray, la philosophie est une « sculpture de soi », si elle reconnaît la volonté et la vie, le corps et l’immanence comme le réel, alors la sensation et l’imagination, l’émotion et la mise en lumière de l’impossible ou de l’invisible sont le « travail » de l’artiste et le « travail » du philosophe.Fidèle à cette idée qu’il ne peut y avoir de distinction entre théorie et pratique, voici Michel Onfray artiste. Et toujours philosophe. L’un parce que l’autre sans doute.

dmocrite.jpg   * Comme ce livre nous y invite soyons nous aussi tentés par Démocrite. Le matérialisme, dont Démocrite fut l’un des « fondateurs », c’est cette philosophie qui voit la vie dans la matière. Et qui voit dans les corps vivants, en train de vivre, de respirer, de bouger, de s’aimer ou de se haïr le lieu même de  la pensée, de l’intelligence, des sensations, de l’amour, de l’imagination: de tout ce qui fait un monde.Tout ce qui fait le monde tel qu’il est, avec ses contradictions les plus frappantes. Tel qu’il est dans « La permanence de l’Apocalypse » (titre de la première partie du « Recours aux forêts ») comme dans le « Traité des consolations » (titre de la deuxième partie)! 

carlson2.jpg 

(chorégraphie Carolyn Carlson)

 

Nous devons penser avec Démocrite que la vie est dans le corps. Qu’elle est le corps lui-même. Qu’elle n’en n’est pas séparable. Qu’elle ne se trouve pas dans une âme qui serait au ciel, n’en doutons pas, avant même d’y monter. 

Mais ce ne sont pas non plus les sciences, la biologie, la médecine, la chimie, qui trouveront cette vie, qui la « verront », qui la décriront, qui nous en diront plus sur elle-même que nous ne sachions déjà.

Parce que la vie que nous sommes, ne se voit pas. Parce que l’effort du sportif nous ne le voyons pas. Nous en voyons seulement le résultat: le record, l’exploit et la joie qui s’en suit. Les médailles peut-être. Nous ne voyons pas cette vie, parce que l’eau qui désaltère enfin, le vin qui réjouit avec ses amis et plus tard, la caresse de l’amour, seuls ceux qui en font l’épreuve les ressentent, les vivent. Et c’est là, sans doute, que se trouve la vie: dans cette épreuve, dans ce sentiment. 

Faire voir la vie, la faire surgir sous le regard, c’est ce que seuls l’art, l’artiste, le philosophe peut-être, peuvent tenter. Alors que pour chacun d’entre nous, au même instant, elle est là, présente. Toujours présente. « Le recours aux forêts ou la tentation de Démocrite » est l’une de ces tentatives où l’art et la philosophie sont semblables, indissociables.

 carlson3.jpg 

(chorégraphie de Carolyn Carlson)

Il nous reste maintenant, en guise d’avant-première, à lire ce texte. A penser aussi et, s’il le faut à « repenser », avec Démocrite. Pour trouver l’essentiel, soit au coeur de la forêt, soit comme Démocrite lui-même, lassé du monde, réfugié dans une cabane, à l’écart. Non pas nécessairement du monde mais à l’écart de ce qui nous détourne de nous-même et ainsi des autres. 

Rendez-vous est donc donné à Caen (y aura-t-il une tournée?) du 16 au 20 novembre 2009. Le site www.comediedecaen.com nous donne informations et aperçus (et même vidéo de répétition).



Tout voir?

stripteaseillustration10111w300.jpg    AVERTISSEMENT

Ce nouvel article nécessite un avertissement préalable: non parce qu’il serait interdit aux pudibonds ou aux moins de dix-huit ans. Il nécessite cet avertissement parce qu’il s’agit d’un article classé (compte tenu en particulier de son mode de rédaction, mais bien sûr aussi en raison de sa  démarche même) dans la catégorie « philosophie » (mais aussi « société » et « danse »). Mais, surtout, parce qu’il  constitue une approche phénoménologique d’une caractéristique de notre temps (qui n’est pas la (seule) pratique du strip-tease ou du « dénuement » plus ou moins pornographique, que l’on se « rassure »: si besoin est!) mais qui est celle de devoir « tout voir », tout dire, ne rien cacher. Ce que l’on appelle du nom absurde de « transparence ». Souvent pour mieux pouvoir dissimuler, au demeurant…

Cela mérite donc avertissement que d’aller ainsi à contre-courant de ce qui se pratique quotidiennement.

Cet article a été rédigé par mon ami Roland Vaschalde, philosophe, spécialiste de l’oeuvre de Michel Henry, auteur du site de la Société internationale Michel-Henry (voir le lien dans la barre de menu) et auteur de nombreux articles sur la phénoménologie de ce philosophe qui fut davantage que notre professeur à l’Université Paul-Valéry de Montpellier.

Ici, il s’interroge de façon extrêmement pertinente sur notre propension à tout voir, jusqu’au nu intégral qui parsème la publicité et bien d’autres « actes publics ».

Avant de laisser ce texte s’ouvrir à ses lecteurs, il me semble qu’un autre avertissement est nécessaire qui serait aussi celui-ci: « Tout voir? » s’interroge Roland Vaschalde à juste titre; mais cela ne veut pas dire non plus qu’il faille dissimuler. Et précisément, le corps s’est assez caché au cours de l’histoire pour qu’il soit dévoilé, pour qu’il soit surtout affirmé, pour qu’il danse sans doute, comme auraient pu le dire Nietzsche ou Deleuze. Ne faisons donc pas ce contresens. Le corps est nu. Ce qui exclut exhibition et voyeurisme…

lesacreduprintempsbypreljocaj.jpg 

 une danseuse du ballet Angelin Preljocaj

 

« Tout voir »,le texte de Roland Vaschalde est ici        Tout voir?   dans danse pdf

 

 

 



Blaise Cendrars, « reporter », écrivain « libertin » et poète éternel

cendrars3.jpg   Blaise Cendrars n’est pas un écrivain dont on parle beaucoup. Un peu comme s’il n’avait plus grand’chose à nous dire. Un peu comme s’il était d’un autre temps.

Je me suis pourtant livré à un petit exercice qui a consisté à rassembler quelques citations de Blaise Cendrars. Elles parlent toutes de lui: de la littérature, de sa vie, de ce qu’il a fait, de la façon dont il se perçoit lui-même.

Outre, que toutes ces propositions me semblent d’une acuité fascinante on remarquera peut-être qu’elles recoupent à leur manière presque tous les textes publiés par « L’instant » depuis son ouverture…

C’est pourquoi elles se présentent aujourd’hui comme une sorte de résumé de ce qui a pu déjà être écrit jusqu’ici.

Et comme une invitation à lire ou relire Cendrars, poète au coeur du monde et homme foudroyé à la main déchirée par la guerre des mondes. Comme une invitation à comprendre qu’entre littérature, art et philosophie il n’y a pas même un pas.

Dans la page « Citations, références… » on trouvera aussi un poème intitulé « Ma danse », signé Cendrars, qui dit toujours la même chose…

cendrars5.jpg

* « Vertige! L’éternité n’est qu’un instant bref dans l’espace et l’infini vous saisit par les cheveux et vousfoudroie instantanément. Le temps ne compte pas. »

* « La « Vita nuova »: on devient un homme nouveau. »

cendrars4.jpg  avec Rémone… 

* « Ecrire n’est pas mon ambition, mais vivre. Maintenant j’écris. »

* « Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie. »

* « Un reporter n’est pas un simple chasseur d’images, il doit savoir capter les vues de l’esprit. »

* « Ici et maintenant: maître du temps. »

cendrars1.jpg

 * « Un libertin, selon l’origine du mot « libertinus »: affranchi, fils d’affranchi, est « celui qui s’affranchit de l’autorité, de la religion, des croyances, de la discipline, celui qui s’affranchit de toute règle, de toute autorité… » « Libertaire » en ces temps de politique, a une nuance politique, donc sentimentale. Je choisis « libertin » : celui qui vit dans la liberté de penser et surtout de sentir et j’accepte le sens méprisant qui est, au moins, franchement sexuel. Le libertin: le représentant de ces esprits qui méprisent le bonheur et qui seuls l’ont peut-être goûté car, grâce à l’ironie, ils ont vécu ne vie grave et ample, intellectuelle et sensuelle, et cont connu toutes les ivresses d’être. »

cendrars2.jpg

 * « Je me sens secrètement fort et joyeux. Le principal c’est que je travaille. »

* « Moi, l’homme le plus libre du monde, je reconnais que l’on est toujours lié par quelque chose et que la liberté, l’indépendance, n’existent pas. »

* « La sérénité ne peut être atteinte que par un esprit désespéré et pour être désespéré, il faut avoir beaucoup vécu et aimer encore le monde. »

et aussi « Ma danse » sur la page « citations… »



123

Il était une fois... |
célia dojan |
marietheresedarcquetassin |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blog de Lyllie
| RETOUR CHARIOT, par Pierre ...
| meslectures14