Le temps de Mathieu Amalric : « Serre-moi fort »

 

« Time present and time past are both perhaps present in time future, and time future contained in time past. »

T.S. Elliot

Ce film est à la fois un beau film, émouvant, et une véritable « démonstration » de l’art cinématographique ou plutôt même, du cinéma, en tant qu’il est un art et non pas un seul divertissement.

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Sans doute le récit ne comporte-t-il pas un véritable « suspense » (il n’est pas un authentique « whathappened » comme disait Alfred H.) car on comprend assez vite de quoi il s’agit et donc « ce qui s’est passé. »

Peut-être est-ce là sa faiblesse. Mais on pourrait dire aussi bien que c’est sa force dans la mesure-même où il parvient à captiver à tout instant, malgré cette lacune et peut-être encore davantage parce que « nous savons » mais « nous attendons » néanmoins. A moins que nous ne voulions même pas savoir.

Ici il fallait peut-être installer en effet, la narration sans en faire un mystère total : un récit que l’on attend, si le narrateur sait nous le faire attendre, n’est-ce pas encore mieux qu’un récit somme toute linéaire, dans lequel on est surpris à chaque séquence, sans savoir jamais où cela nous mènera. Cette façon de faire ne finit-elle pas par faire courir le risque d’une distance entre le spectateur et le film lui-même ?

Ici, sont entre-mêlées les séquences du passé, celles du présent et celles du futur. Elles le sont souvent à la vitesse de l’éclair car certaines sont très brèves et elles contribuent à nous égarer sans doute, surtout au début, mais très vite à nous faire comprendre qu’il n’y a peut-être pas autant de différences entre les différents éléments de la temporalité telle que nous nous la représentons communément, linéairement, en tant que passé-présent-futur.

Et puis, il n’est pas certain non plus que les plans du passé soient tous vraiment réels, que quelques-uns ne soient pas revus, reconstitués depuis le « présent » par le personnage . Et que, de même ceux du futur ne soient rien d’autres que des « rêves » ou bien de simples « possibilités »…

On assiste donc ici à un récit « déconstruit » ou plutôt construit hors des normes habituelles, hors la perspective en trois dimensions temporelles et même, et de ce fait, entre ce que l’on pourrait dire « réalité » (disons aussi « factualité ») et « imaginaire » (disons aussi « possibilité »).

Tout ceci est fait de plans ou plutôt même de séquences souvent très brèves, à moins qu’au sein de certaines, d’autres ne viennent plutôt s’intercaler, pour les fragmenter, les diviser.

Le film ressemble donc à l’un de ces grands romans où le lecteur ne peut qu’être souvent, égaré, mais jamais totalement perdu. Ceci étant, dire « roman » est peut-être une erreur. Ne vaudrait-il pas mieux parler de poésie (non pas du « genre » poétique mais du langage seulement, c’est-à-dire de la poésie elle-même, en tant qu’elle peut être en prose par exemple…mais ici « en cinéma » pourrait-on dire très justement sans doute). Il ne faut donc pas s’y tromper, il ne s’agit pas pour Mathieu Amalric de réaliser un film-concept. Au contraire, il faut voir dans « Serre-moi fort » tout autre chose, une invitation irrépressible plutôt, à ressentir, à s’émouvoir, à rêver, à vivre, aux côtés des personnages, avec leur histoire, notre propre vie.

Du point de vue de l’ensemble de ce que l’on pourrait appeler « la technique cinématographique » il n’est sans doute pas inutile de souligner que le son est utilisé ici, de telle sorte qu’il renforce ce que l’on continuera d’appeler « la déconstruction ». Non seulement l’enchevêtrement temporel, réel-imaginaire est le fait de l’image, de l’action, mais il est aussi celui de la parole (phrases interrompues par l’interruption-même du plan, voix off superposée de façon perceptible, c’est-à-dire artificielle bien sûr, à un dialogue ou à la fin de celui-ci, musique qui se poursuit d’une séquence à l’autre, son d’ambiance seul, pas de son d’ambiance, tous les procédés sonores sont là pour en quelque sorte, non seulement accompagner, l’art du réalisateur, mais pour le renforcer, pour le mettre en place de façon radicale, c’est-à-dire totale.

Ce film présente donc un double intérêt :

  • celui d’être un très beau film, servi par une très belle prise de vue, des dialogues d’une haute justesse, des musiques et une bande-son en général, remarquable. Ne parlons pas du montage et autres post-production…

  • comme narration à la « forme » exceptionnelle, il semble être aussi une sorte « d’exercice » qui pourrait sans doute profiter largement à tout apprentissage du cinéma pour des passionnés quelque peu ambitieux.

On notera (mais je ne suis pas un spécialiste de la chose que le cinéma des années 1960 avait produit quelques chefs d’oeuvres qui avaient comme ouvert la voie à Mathieu Amalric et à « Serre-moi fort ». Je pense à Antonioni (L’Avventura, La Notte, L’Eclisse mais aussi beaucoup plus tard « Par-delà les nuages »), ou Jean-Luc Godard (dès « Pierrot le fou » sinon « A bout de souffle » et la déconstruction du son et de l’image dans « Alphaville »). Comme par hasard ces deux cinéastes ont chacun obtenu les plus hautes récompenses des festivals de Cannes, de Venise et de Berlin. (Ils sont les seuls à ce jour avec Henri-Georges Clouzot).

On peut enfin faire un rapprochement avec les conceptions philosophiques du temps.

Le temps est, disons depuis Aristote, définit comme succession (passé-présent-avenir), que ce soit « dans le monde » (les graines donnent des pousses, qui donnent des arbres, puis des fleurs et enfin des fruits…), soit dans « l’âme » (Saint Augustin), soit, disons, « dans le sujet, » la pensée, la subjectivité… jusqu’à Husserl, voire Heidegger.

Cette conception est décrite par le philosophe Claude Romano (1967-) dans « L’événement et le monde » (PUF 1998 et 1999 – 2° édition 2021 en un volume) par ces mots :

« Penser un temps de l’âme dans lequel le temps des choses s’écoule, c’est devoir penser ce temps comme un certain « écoulement », un certain « flux », et présupposer donc un temps dans lequel cet écoulement s’opère, ce qui conduit à une régression à l’infini. Il en résulte que le présent ne se présente lui-même que sous l’horizon d’une antériorité et d’une postérité, prenant la « suite » d’un présent antérieur et « succédant » à un présent ultérieur ; et que le temps est conçu comme un continuum unidimensionnel et mesurable, pourvu d’une direction unique, c’est-à-dire comme « irréversible ».

Notons cependant, qu’on oublie là Nietzsche, Kierkegaard et sans doute d’autres, qui ont une conception du temps beaucoup plus proche de celle que nous offre Mathieu Amalric.

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Pour Claude Romano, il en est tout autrement que dans la métaphysique évoquée plus haut. Il écrit ainsi : « L’advenant dépend en son essence d’un certain type de changement qui ne se produit pas dans le monde, mais ouvre un monde pour celui à qui il arrive. » (op.cit)

Notons que, dans le langage de C Romano « l’advenant » désigne chacun d’entre-nous, l’homme si l’on veut ou bien le sujet, l’individu. Cette phrase signifie alors que l’événement (qui est « essentiel », fondateur, soit hors du monde, c’est-à-dire – pour l’exprimer très simplement – celui qui n’est pas « commun » détermine « le monde pour celui à qui il arrive. » A ce titre Romano distingue principalement trois événements : la naissance, la rencontre, la mort. En les distinguant cependant de ce qu’ils sont aussi comme « faits du monde ».

Ce qui signifie qu’ »un événement, comme le dit lui-même C. Romano, est ce qui en modifiant certains possibles du monde, atteint toujours en même le monde comme un tout, c’est-à-dire reconfigure le possible en totalité. Avec l’événement, « tout est changé » ; ce qui est modifié est la face même du monde. » Et de citer Racine : « Cet heureux temps n’est plus, tout a changé de face » (Phèdre acte I, scène I, v.34)

L’événement est donc l’origine de son propre sens pour toute compréhension. L’événement n’est pas ce qui peut être ou non doué de sens, il est le sens lui-même à son origine.

Et c’est bien, semble-t-il, ce à quoi on assiste ici : la disparition de ses deux

enfants et de son mari est le changement d’un monde qui a totalement « changé de face » comme le dit Racine, où rien n’est plus, ce que l’on pourrait dire, « à sa place », dans ce qui était un ordre, un ordonnancement. C’est ainsi que la temporalité dans la succession indéfinie, mesurable et objective est perdue. Et elle est perdue, parce qu’elle n’a pas réellement fait sens auparavant. Elle était tout simplement, sinon normale, au moins « habituelle ». Mais en fait elle ne portait en elle-même aucun sens. Ce qui auparavant était le sens ou faisait sens, produisait pour Clarisse son sens (le sens par lequel elle « voyait » véritablement les choses de la vie, comme le sens de ces choses elles-mêmes et en elles-mêmes), c’était la rencontre (scène dans le film à la fois banale, mais admirable et faite d’admiration partagée, le tout sur fond de boîte de nuit ; rencontre qui, du point de vue de C Romano, avait déjà été avant d’être, c’était comme s’ils s’étaient toujours connus, depuis toujours – ce qu’on appelle sans doute « le coup de foudre » – et qui se termine à peu près ainsi : « Mais où m’emmènes-tu ? ») et c’était la naissance de sa fille, puis celle de son fils.

Dans « Serre-moi fort » on peut dire avec C. Romano : « L’événement ne survient pas dans le temps, il déploie le temps. (op.cit)

En référence à Schelling et sur la question du temps, C Romano écrit : Cette « inclusion » des différents temps les uns dans les autres, en vertu de laquelle chacun se coordonne aux deux autres en les comprenant déjà en soi, nous conduit aux limites qu’une phénoménologie peut décrire.

Ainsi, Schelling : « Chaque temps possible contient le temps tout entier ; car ce qu’il n’en contient pas comme présent, il le contient cependant comme passé ou comme avenir. » (Die Weltalter p 100), et T.S. Eliot : « Time present and time past are both perhaps present in time future, and time future contained in time past. » (Four quartets Poésie, Seuil, 1976, p 156) (p 564) (cité en exergue)

On peut se référer aussi, pour trouver un exemple d’événemential, sous le thème de la « rencontre » au roman de Joseph Conrad « La rescousse ». Dans cet ouvrage la rencontre entre un homme et une femme n’est pas seulement un fait qui survient pour l’u et pour l’autre, c’est un événement qui les transforme profondément et qui change le cours de leur vie et au-delà de celui de leur monde tout entier.

On trouver ici toues les informations « pratiques » sur le film « Serre-moi fort » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Serre_moi_fort

Fiche technique

Distribution

  • Vicky Krieps : Clarisse, la mère
  • Arieh Worthalter : Marc, le père
  • Anne-Sophie Bowen-Chatet : Lucie
  • Sacha Ardilly : Paul
  • Juliette Benveniste : Lucie adolescente
  • Aurèle Grzesik : Paul adolescent

Production

Projet et scénario

Sur le conseil de Laurent Ziserman – un ami de longue date du réalisateur – qui lui fait lire le texte3, Mathieu Amalric décide d’adapter la pièce contemporaine de théâtre Je reviens de loin de la dramaturge française Claudine Galea qui traite de la séparation d’une famille4. Parue en 2003, cette pièce n’a toutefois jamais été montée sur scène avant la réalisation du film qui s’en inspire. Une autre source d’inspiration importante pour le réalisateur a été le travail du peintre américain Robert Bechtle (1932-2020) pour son approche hyperréaliste et autobiographique de ses sujets5. Le titre de travail du film – qui revendique le genre du mélodrame5 – a évolué au cours de la période d’écriture et de financement du projet, passant de Serre-moins fort6,7 à Serre moi fort5. Au cours de l’adaptation, puis du tournage, Mathieu Amalric interagit régulièrement avec Claudine Galea lors d’échanges afin de construire un film se servant des moyens spécifiques du cinéma pour la narration mais en restant dans l’esprit de la pièce originale3, œuvre qui en définitive voit là sa première création scénique après toutefois une réalisation radiophonique créée en 2017 pour France Culture par Marguerite Gateau8.

Huitième long métrage du réalisateur, le film est produit par la société Les Films du poisson qui avait déjà produit deux précédents films de Mathieu Amalric : La Chose publique en 2003 et Tournée en 2009. Il bénéficie de plus de l’avance sur recette du Centre national de la cinématographie9 ainsi que du soutien financier de la région Occitanie5 et de la région Nouvelle-Aquitaine[réf. nécessaire].

Tournage et post-production

Le tournage s’étale sur trois périodes distinctes afin de suivre, à la demande du réalisateur, l’évolution naturelle des saisons2,5. La première se déroule en mai 2019 durant une dizaine de jours dans les Pyrénées à Ganties5 et dans les environs de Saint-Gaudens10,7. En novembre 2019, il se poursuit au conservatoire de musique de La Rochelle11 ; à la piscine de Châtelaillon-Plage ; sur le navire L’Hermione, le théâtre de la Coupe d’Or et la maison de Pierre Loti à Rochefort12 ; et à la patinoire de Niort (avec des licenciés du club de patinage Niort Glace et du Niort Hockey Club)13,7. Enfin, le tournage est complété par une dernière session en janvier 2020.

La pandémie de Covid-19 entraîne un confinement en France dès la mi-mars 2020 et l’arrêt de la plupart des activités cinématographiques sur une longue période. Le film, alors au stade de son montage, est stoppé à cette étape de sa création par Mathieu Amalric qui s’installe dans sa maison du Trégor en Bretagne durant cette période14,15. Après une tentative de travailler à distance avec son monteur habituel François Gédigier, il décide d’arrêter le processus, insatisfait du résultat et ayant le sentiment « d’abîmer le film » avec cette méthode de télétravail, et de se consacrer à autre chose16. Le montage reprend et se termine à partir du mois de mai 202015. Cependant, les incertitudes sanitaires reportent sine die la sortie du film après la seconde fermeture des salles de cinéma en octobre 2020, le film étant toutefois projeté en séance privée pour les personnes qui y ont participé (techniciens, personnes ayant aidé et habitants) au cinéma Le Régent de Saint-Gaudens le 24 octobre 2020.

Sortie et accueil

Présentations festivalières et sorties nationales

Le film est retenu le 3 juin 2021 dans la sélection Cannes Première – la nouvelle compétition du Festival de Cannes destinée aux « cinéastes confirmés17 » –, créée lors de l’édition 2021, déplacée cette année-là au mois de juillet en raison de la pandémie de Covid-1918,19 ; il y est projeté le 14 juillet. Serre moi fort est ensuite présenté lors du Festival international du film de Jérusalem le 25 août, puis au festival international du film de Bruxelles (en) le 1er septembre en tant que film d’ouverture20.

La sortie nationale du film a lieu le 8 septembre 2021 en France et en Belgique21.



« Géricault, généalogie de la peinture » par Jérôme Thélot

 

 

Théodore Géricault (1791-1824) est un peintre universellement connu pour son « Radeau de la Méduse » (1818-1819).
Cependant il n’est pas certain que, selon le jugement d’une opinion très courante, il fasse partie des plus célèbres et des plus admirés des peintres français.

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On pourrait dire sans trop se tromper que l’œuvre de Géricault soit aussi reconnue qu’elle le mériterait.

Le livre que vient de publier Jérôme Thélot, « Géricault, généalogie de la peinture » (éditions L’Atelier Contemporain) nous dit pourtant toute l’importance de cette œuvre. Bien plus, il nous dit en quoi elle est essentielle.

De façon magistrale Jérôme Thélot ne se contente pas de définir en quoi la peinture de Géricault serait admirable, par exemple par sa technique, par sa manière, voire même par le choix de ses sujets. Ce qui serait déjà tout à fait passionnant sans doute.

Il nous dit plus certainement que Géricault manifeste dans sa peinture, dans chacun de ses tableaux, mais aussi dans chaque dessin, dans chaque esquisse, l’origine-même de la peinture. On pourrait dire, sans se tromper profondément, sans se tromper du tout peut-être même, que Géricault est ce peintre qui, plus que tout autre sans doute, dans chacun de ses sujets, fait voir et comprendre ce qu’est toute peinture, comment elle est possible, comment et en quoi elle advient. Un tableau de Géricault dit avant tout, en même temps que ce qu’il montre, la création elle-même : il en fait ou il en est peut-être la généalogie elle-même.

Mais il y a davantage encore dans ce livre, bien davantage. Là est sa valeur irremplaçable.

Jérôme Thélot nous montre de façon absolument lumineuse en quoi Théodore Géricault est le peintre de la condition humaine. Non pas de telle ou telle condition humaine, celle du naufragé, du soldat, du pauvre ou de l’égaré, mais la condition de tout homme. Il y a chez Géricault une dimension philosophique, sans les concepts, sans les mots, sans les discours, sans les théories. Cela fait assurément de ce peintre un très grand peintre.
Et, comme ce livre le dit, l’explicite, le montre de façon évidente, brillante, de telle sorte qu’à chaque page on espère la suivante, qu’à chaque paragraphe on se trouve déjà au suivant, on peut dire assurément qu’il s’agit aussi d’un grand livre.

Désormais, la plupart d’entre-nous ne regarderons plus (et ne garderons plus dans leurs mémoires) « Le Radeau de la Méduse »1 de la même manière. Mais surtout, grâce au peintre et à l’auteur nous en saurons désormais bien davantage sur nous-mêmes.

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Ci-dessus quelques-uns des tableaux commentés par Jérôme Thélot : « Cuirassier blessé quittant le feu » 1814, « Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant »  1812, « Portrait de Laure Bro » 1818-1820, « Le monomane du vol » 1818-1819, « Portrait d’un carabinier en buste avec son cheval » 1812-1814. « Portrait de noir » (1812-1814)

1Jérôme Thélot avait publié en 2013 aux éditions Manucius « Géricault, le Radeau de la Méduse, le sublime et son double »



« Au véritable French Tacos » : le progrès ne s’arrête jamais

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Le progrès est-il à même de s’arrêter un jour ? Ou même de ralentir un peu.

On n’arrête pas le progrès, c’est évident ! Et dans aucun domaine, cela va sans dire.

Il n’y a qu’à regarder tout autour de soi, autour de nous. C’est une évidence.
Ah ! Bien sûr ! Si l’on pense que le progrès c’est aller sans relâche vers le meilleur des mondes possibles, on pourrait entendre les rumeurs de quelques objections. Mais ce ne serait-là que le fait de quelques grincheux ou de quelques aveugles, tournés sans fin vers le passé et se disant : « C’était quand même bien mieux avant ! »

 

« Au véritable French Tacos », le roman de Jacques Aboucaya et Alain Gerber (éditions Ramsay) nous prouvera sans conteste que le progrès progresse. Que nous le voulions ou non.

 

Il faut souligner combien leur démonstration est imparable. Les voici en effet endossant les habits de voyageurs qui, découvrant des pays inconnus – vraiment inconnus, car s’il s’avère qu’un lecteur de ces lignes en ait déjà franchi les frontières, je serais particulièrement heureux de faire sa connaissance et de recueillir ses propres impressions, car, je n’ai même pas trouvé leur situation exacte,à ces pays-là, sur l’une ou l’autre de mes applications GPS, pourtant nombreuses et qui toutes m’assurent de leur précision et même de leur exhaustivité.Elles qui relèvent (enfin c’est ce que je croyais jusqu’ici) du dernier progrès.

 

Et, tous deux, Jacques et Alain, ont emprunté des prénoms aussi exotiques que Calixte – encore qu’il y eut quatre souverains pontifes qui en usèrent, tout autant qu’un personnage, si je me souviens bien, du célèbre « Petit Nicolas » (pas celui qui fut Président de notre République) mais celui d’une autre littérature – et Ganymède. Ce dernier ne manque d’ailleurs pas d’une certaine audace (mais un prénom vous est donné et ce n’est que si rarement que vous vous l’attribuez vous-même, alors, disons qu’il s’agit ici d’un don du ciel, de Zeus probablement) tant le personnage du mythe grec est un garçon sublime et que son destin dans les arts est incalculable et surtout parfois inavouable (les lecteurs du divin marquis s’en souviendront sans doute).
Bref, nos deux amis voyageant dans ces contrées à la pointe du progrès vont s’extasiant devant tant de merveilles qu’ils découvrent avec admiration.

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Ce roman prend, du début à la fin, la forme d’un échange de lettres – de Calixte à Ganymède et réciproquement – telles les lettres persanes de Montesquieu dans lesquelles, on l’aura sans doute compris, l’ironie est toujours présente. A la différence qu’elle est sans aucun doute décuplée à chaque instant. C’est peut-être cela qui fait que, lorsque on referme ce livre, on a un peu l’impression que l’on vient juste de l’ouvrir.

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C’est alors que les bras nous tombent car nous nous rendons bien compte, soudain (à moins que ce fut depuis quelques pages déjà !) que tout ceci n’est proféré qu’au second degré ! Que dis-je, non pas au deuxième degré, mais au troisième, au quatrième au moins. Ou même davantage encore.
Car voyez-vous : le progrès, même en littérature, on ne l’arrête pas. Et surtout, si l’on se place à contre-courant.

Ce que font ici Jacques Aboucaya et Alain Gerber relève décidément de ce que l’on pourrait appeler « une haute voltige ». Il faut lire cet inénarrable « Au véritable French Tacos ». Pour le croire. Et peut-être pour mieux comprendre aussi ce qui nous arrive.

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La poésie et la photographie: Jean-Jacques Gonzales (texte de Jérôme Thélot)

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« Le travail photographique de Jean-Jacques Gonzales » par Jérôme Thélot (L’atelier contemporain éditeur) est un livre où le texte éclaire pas à pas les images.

Mais où les photographies elles-mêmes sont comme des textes, comme des sujets qui s’offrent à nous et qui, ce faisant, nous demandent de les décrypter : en quelque sorte, de les lire. Non pas seulement de les voir, de les regarder, de les scruter de notre regard, de les admirer comme de beaux objets. Là se trouve leur force, leur puissance, l’étrange fascination qui les habite et qui provoque notre regard.

 

Les photographies de Jean-Jacques Gonzales possèdent une étrangeté qui les distingue de tout autre travail photographique.

Bien sûr « étrangeté » peut désigner une sorte de spécificité. Alors on dirait que les images de Jean-Jacques Gonzales sont reconnaissables parmi toutes les autres. Ce serait une sorte de distinction, de reconnaissance d’un art qui lui serait propre. Et ce serait déjà remarquable, en effet.

Mais ce n’est pas tout à fait de cela qu’il s’agit. Ces photographies sont « étranges » en ceci qu’elles présentent chacune quelque chose qui dérange le regard. Et que, le plus souvent, on ne distingue pas clairement, que l’on peine à voir, à identifier, mais que l’on perçoit, que l’on ressent sans aucun doute.

C’est comme s’il y avait en chacune d’elle un objet « indistinct » qui troublait notre perception.

Et, souvent, lorsque nous le cherchons, nous ne le trouvons pas. Sinon au prix d’un effort du regard ou de l’attention tout à fait inhabituel.

Les photographies de Jean-Jacques Gonzales sont belles – elles ont sans aucun doute leur beauté propre – jusque dans cette sorte « d’écart » où elles tiennent la réalité du monde « tel qu’il est », tel que nous le voyons, tel que nous nous le représentons communément. Et en raison même de cette particularité. Car c’est tout le déploiement du monde que nous montre le photographe. Mais elles comportent aussi comme une contradiction : on y voit souvent quelque chose qui ne semble pas être du monde ou qui, à tout le moins, du monde, nous fait apercevoir davantage que ce qui semble le composer au premier regard.

 

Des escaliers montant du sol...

Des escaliers montant du sol…

Le texte de Jérôme Thélot (dont on rappellera qu’il est l’auteur d’une « Critique de la raison photographique « , éditions Encre Marine 2009) est pourtant essentiel. Non pas que l’on ne puisse découvrir fort heureusement le sens du travail de Jean-Jacques Gonzales que grâce à celui-ci, mais parce qu’il nous permet de mieux – c’est-à-dire de plus profondément, plus intensément encore – découvrir la révélation que manifestent ces images, proprement extraordinaires. Que, finalement, il les éclaire, en souligne avec, pourrait-on dire, une grande lumière, la puissance et la spécificité. Et, par exemple, ici :

 

Voici une route allant sûrement quelque part...

Voici une route allant sûrement quelque part…

« Aucune vue d’intérieur ; aucune figure humaine ; de rares traces d’ouvrage humain ; mais pas non plus de discours (sinon parfois l’esquisse d’un récit interrompu) ; et certes pas d’éloquence du ciel où le regard se divertirait de son vrai problème…/…On a ici déblayé l’image de toute rhétorique mais on n’a pas renoncé à la question posée par l’inadéquation des mots ; et on a trouvé dans les seuls moyens plastiques de quoi reformuler toujours cette seule question. L’expérience photographique de Jean-Jacques Gonzales est assez résolue à l’élucidation de sa « source » dans le conflit entre absence et regard, entre privation et adhésion, pour qu’on la nomme non pas seulement un art, mais une expérience de poésie. »

 

C’est ce qu’écrit si justement Jérôme Thélot et qu’il faut reconnaître désormais : la poésie de chacune des photographies de Jean-Jacques Gonzales.

Et tout son travail comme poésie.

 

 

Il faut souligner enfin la remarquable réussite éditoriale de cet ouvrage, de la qualité graphique, à celle de la reproduction, « l’objet » lui-même ajoute à la pertinence des propos, que ce soit celui du photographe ou celui de l’auteur.

Notons aussi que le livre se conclut sur le « journal photographique » de Jean-Jacques Gonzales qui porte le beau titre de « La fiction d’un éblouissant rail continu. »

 

Parution le 5 juin 2020 (200 p, 110 reproductions, 30€, L’Atelier Contemporain éditeur)

 



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