« La hache », l’art caché de la littérature par Alain Gerber

Alain Gerber a écrit à ce jour plus de soixante ou soixante-dix livres.

Il a connu de grands succès. Il a été couronné par plus plusieurs prix littéraires prestigieux.

Il a acquit une notoriété, outre celle d’écrivain, de « critique » de jazz, tâche qu’il a souvent abordé bien davantage par l’art de l’écriture que par celui – si toutefois il s’agit d’un art, mais ce n’est pas cependant impossible – du journalisme.
Il nous revient aujourd’hui avec un roman intitulé « La hache », publié aux éditions Ramsay.

Un livre signé Alain Gerber ne peut pas rester fermé. Il faut l’ouvrir. Ne rien céder, pour soi-même, et s’y plonger tout entier.
On sera peut-être surpris par cette histoire. Elle déroute tout d’abord. Avant de devenir presque familière. Même si la sympathie avec la presque totalité des personnages est impossible, « La hache » est, très vite, un roman auquel on s’attache. Sans doute, en premier lieu, parce qu’on se demande sans cesse ce qui va bien arriver. Il s’est passé quelque chose, quelque chose de terrible, on en est certain, même si, très précisément on ne sait pas quoi. Mais ce n’est pas cette horreur sans doute, qui nous obsède, mais au contraire ce qui va advenir. Qui en sera la conséquence assurément. Mais laquelle, telle est la question, la première question. Voici venu, pourrait-on dire, le temps de l’art du « suspense ».

Mais il ne s’agit que de la première question. Parce qu’en réalité on ne saura pas grand-chose. On ne saura même pas dans quel pays cela se déroule. Un pays chrétien, orthodoxe en l’occurrence,  d’Europe centrale, de l’Est…ou d’ailleurs. Et lorsqu’on pense avoir découvert une réponse à ce genre d’interrogation (et elles sont nombreuses, de toutes sortes) voici que l’on découvre que nous avons fait fausse route. Ou bien même que cela importe peu: maintenant c’est à tout autre chose qu’Alain Gerber nous intéresse. Pour, très vite, nous renvoyer une nouvelle fois sur un chemin de traverse.

 

Et puis, finalement, on se dit que cette histoire, sombre, terrible, effrayante c’est celle de notre monde. C’est celle du monde lorsqu’il est au bord du chaos. Ou plutôt celle du chaos du monde que nous vivons. Alors, peu importe où cela se déroule. Parce que nous savons désormais que c’est chez nous. Que nous soyons d’ici ou d’ailleurs. Lorsque les temps vacillent que dire d’autre ? Pourquoi ne pas passer de leurres en ellipses, de fausses routes en chemins qui ne mènent nulle part ? C’est sans doute là que se trouve l’art du romancier: dans l’évitement, dans le fait de provoquer plus de mystères et d’interrogations que d’éclairages, de compréhension, de raison. Lorsque cet art du non-dit nous fait ressentir l’effroi et l’inquiétude qui nous habitent.

Bientôt, avant même d’être parvenu au terme de ce livre – a-t-il une « fin » ? ou nous emmène-t-il jusqu’à des limites qui n’en finissent pas de s’éloigner plus nous avons l’impression de nous en approcher – on se dira que, dans cet « exotisme » apparent d’une contrée peu amène, étrangère donc dans tous les sens du terme, pour ne pas dire « barbare », c’est sans doute de nous qu’il est ici question. Cette étrangeté, cette barbarie précisément, n’est-ce pas la civilisation lorsqu’elle décline, au moment où elle s’incline sous son propre fardeau?

 

Mais « La hache » c’est peut-être plus encore que l’histoire du monde lorsque sa lumière semble s’effacer à l’horizon, le roman de la littérature tout entière. Parce que ce qui est dit, ce qui nous parle, n’est pas écrit, n’est pas « dit », pas « exprimé ». Même pas véritablement suggéré. Le roman, la littérature tout entière ne décrit pas, ne raconte pas. Même lorsqu’il arrive qu’elle s’y emploie – et rien n’empêche qu’elle le fasse; elle ne s’en est pas d’ailleurs jamais privée – son art lui-même, son art tout entier, c’est de ne pas tout dire, de dire autrement, autrement qu’avec les mots de la description objective. Un roman sur le monde d’aujourd’hui est à l’encontre d’un ouvrage de sociologie. Même et surtout s’il veut parler du même sujet.

Avec « La hache » Alain Gerber a atteint – il est donc allé encore plus loin, et ce n’est pas la première fois dans son œuvre- à l’essence la plus profonde de la littérature.



« Souvenirs d’une invisible » par Alain Gerber

Souvent, dans un roman, il y a une histoire. On pourrait dire aussi « une narration ». Souvent il y a des faits, en tout cas la relation de ceux-ci. Il y a une mise en perspective d’événements plus ou moins ordinaires ou extraordinaires.

« Souvent » : parce que parfois les choses sont un peu différentes. Mais cela est rare et les lecteurs, généralement, évitent ce genre de littérature.

Ici, dans le beau roman qu’Alain Gerber signe un peu comme s’il était une sorte de revenant – un heureux « revenant » pour tous ceux et toutes celles qui ont aimé sa musique d’autrefois, d’il y a déjà longtemps comme « Une sorte de bleu » en 1980 jusqu’à plus récemment avec « Blues » l’un de ses chefs d’œuvre (il y en a plusieurs à dire vrai) – roman qui porte le titre énigmatique de « Souvenirs d’une invisible » (Marivole éditeur) il y a toute une histoire. Ce récit c’est celui d’une exilée russe et juive à la fois dans la France du XX°. Dans le meilleur de celle-ci et dans le pire aussi. A Belfort, ville natale de l’écrivain.

Voici qui est aussi bien extraordinaire que tout à fait « ordinaire ».

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Ici, comme il a été dit, il y a une histoire et, en quelque sorte, une vie, toute une vie, celle de l’héroïne. Qu’il vaudrait peut-être mieux qualifier de « personnage central ». Même si, d’une certaine façon, Sonia Breldzerovsky a parfois les traits d’une héroïne.

Cette histoire donc, son histoire, se déroule au cours d’une narration somme toute simple, même s’il y a ici souffrance, joies, bonheurs, hésitations, erreurs, tout cela mélangé.

La vie de Sonia pourtant est exceptionnelle. Mais en même temps, si elle n’est en rien banale, si à ce seul degré de lecture, elle retient notre propre souffle, comme souvent chez Alain Gerber, il y a dans ces « Souvenirs d’une invisible » quelque chose d’encore plus fascinant. D’autant plus remarquable il faut le dire d’entrée que ce « second degré » est présent de bout en bout, de la première à la dernière page et cela « sans jamais montrer son nez » un seul instant.

 

L’histoire donc de « l’invisible » Sonia Breldzerovsky c’est bien, sinon l’essai de la relation même de ce qui ne se voit pas, mais qui est cependant, à la fois la vie et la littérature.

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Un roman n’est pas un récit historique. Ce dernier ne peut être que l’œuvre des historiens et si la vie de quelques grandes figures de l’Histoire du monde a parfois eu des « accents » romanesques ce n’est que par métaphore.

Dans un roman il y a en premier lieu … ce qui ne s’y trouve pas. Il y a dans le fondement même de la littérature ce que l’on pourrait dire des « absences », des « creux », des « manques » et des manquements ».

Ils sont quelques-uns dans ce que l’on apprend de Sonia. Mais ils sont infiniment plus nombreux ceux que l’on imagine, que l’on rêve, auxquels on croit encore plus qu’à tous les autres.

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Et ce sont ces derniers qui font de ce livre sa rareté : là ou, précisément, au moment même où il en fait en quelque sorte l’ellipse, au moment précis où il évite de le faire, Alain Gerber nous dit comme un tour de force lui aussi invisible tout ce qu’est le roman. Tout ce qu’est la littérature : écriture et lecture aussi sans doute.



« Epreuve de soi et vérité du monde: depuis Michel Henry » par Roland Vaschalde

 

Roland Vaschalde

Roland Vaschalde

Après un livre intitulé « A l’Orient de Michel Henry » Roland Vaschalde publie aujourd’hui aux éditions Orizons « Epreuve de soi et vérité du monde : depuis Michel Henry ».

Ce livre, au titre d’une subtile intelligence, est composé de douze textes écrits en quelque sorte « au fil » des réflexions de l’auteur, toutes en résonnance étroites avec la pensée de Michel Henry, même si (et, sans doute, parce que) les thématiques abordées sont parfois assez lointaines de celles du philosophe comme, le sont par exemple, l’œuvre de Salvador Dali, la Kabbale ou la maladie d’Alzheimer.

On y lira (ou relira) aussi un texte, intitulé « Tout voir » publié sur le blog « L’Instant ». C’était en 2009.

La lecture de ce dernier livre de Roland Vaschalde manifeste l’extraordinaire fertilité de la pensée de Michel Henry, fertilité qui a souvent été soulignée par ses nombreux commentateurs. Les lecteurs familiers de la phénoménologie matérielle n’en seront donc pas surpris et trouveront à coup sûr un intérêt insigne à chacun de ces textes. D’une part en raison souvent de leurs thématiques originales, comme il vient d’être dit, d’autre part parce qu’ils sont tous menés d’une écriture rigoureuse et d’une pensée sans faille.

 

Il faudrait cependant que le lecteur ne se laisser pas emporter par ce que l’on pourrait nommer « l’intelligence » qu’il aurait, en particulier ici, avec la philosophie de Michel Henry.

Celle-ci est d’une grande cohérence et marque à coup sûr une étape considérable dans l’histoire de la pensée. Son caractère absolu – en ce sens qu’elle est essentielle, que son écriture est d’une rigueur de chaque instant en même temps que, souvent, d’une véritable et grande beauté, dépasse ce que l’on appelle parfois « la pensée occidentale ». Le précédent ouvrage de Roland Vaschalde l’avait, à sa manière, souligné.

 

Mais « ne pas se laisser emporter » a aussi deux significations :

La première veut dire qu’il est nécessaire de dépasser le cadre déjà très large du champ de réflexion de l’auteur lui-même. On peut dire que sur ce point Roland Vaschalde réussit parfaitement le projet.

La seconde est que toute actualité d’une pensée ne peut demeurer qu’au travers de la critique, à savoir au travers des interrogations que l’on doit porter alors même peut-être que l’on est en accord avec elle. Car enfin, toute pensée ne demeure présente que si elle suscite des interrogations nouvelles.

 

Michel Henry

Michel Henry

Si fertile et généreuse soit-elle, et sans doute pour cette raison même, la phénoménologie matérielle, ne dit pas tout sur tout et, plus encore ce faisant, elle ne peut que laisser apparaître des questionnements sans réponse. Là apparaît son véritable « génie », dans ce qu’elle nous laisse encore comme « impensé ».

La phénoménologie matérielle n’est de toute évidence pas une « doctrine » ou un « système » qui pourrait avoir réponse à tout (ou, en tout cas, à une multitude indéfinie de problématiques).

La philosophie de Michel Henry trouve sa richesse dans ce qu’elle nous laisse comme questions. Peut-être sans fin.



« Un caillou dans un creux », un livre comme l’espoir

Il y a des livres qui racontent des histoires, d’autres qui expliquent ce qu’est le monde. Il y a toutes sortes de livres dans des bibliothèques sans fins.

Il y a des livres qui enchantent, qui font rêver. Il y a des livres qui instruisent et qui éclairent.

Il y a des livres. Il y a des livres dans les temps de détresse. Malgré tout ce qui advient à l’histoire des hommes. Il y a des livres dans les temps heureux.

Mais, si l’on a de la chance, certains d’entre nous, parfois, sont saisis, non par un livre plutôt qu’un autre mais par ce qu’on pourrait dire « Le Livre ». Non que ce livre serait exemplaire, qu’il serait au-dessus de tous les autres, plus réussi que les autres. Non : « Le Livre » n’est pas tout à fait du même monde que les autres livres.  C’est plutôt comme s’il les précédait. Peut-être même a-t-il le pouvoir de les fonder, de les générer, de leur permettre d’exister, de voir le jour, de voir la nuit.

 

Il y a peu de ces livres-là. Il n’y en a sans doute même qu’un seul. Par principe. Un seul qui, cependant, peut prendre quelques formes différentes. Suivant nos vies, suivant sa propre vie.

Ce livre évoqué ici est donc, par définition encore, inclassable. Parce que rien ne lui ressemble vraiment. Lorsqu’on se dit qu’il est ceci ou qu’il est cela, il suffit d’une fraction la plus infime du temps pour que l’on comprenne qu’il ne s’agit pas de ça. Qu’il est plus important que tout cela car il est comme une source primordiale.

 

« Un caillou dans un creux » que vient de publier Jérôme Thélot est ainsi.

Ce livre est « Un Livre ». Non pas un grand livre parmi des milliers d’autres livres mais un livre fondateur ; en quelque sorte indépassable, hors de toute comparaison.

« Un cailloux dans un creux » échappe à toute analyse, à tout commentaire. Il faut résister  à cette tentation de le décrire et, au contraire, laisser intacte sa part essentielle de mystère, celle qui nous éclaire et nous rend à notre propre vie. Tout le reste serait mal-dit…

Comme par discrétion « Un caillou dans un creux » se présente comme des « Notes sur le poétique ». Pourtant le lecteur saura très vite, dès les premières pages et dès les premiers mots sans doute que chaque paragraphe, chaque phrase dit l’essentiel. Cela même qui se trouve à la toute fin de cet ouvrage : « Poésie est le nom de la mémoire quand se faisant désécriture, elle rend l’individu à son essence immémoriale. »

Et Verlaine en toute fin : « L’espoir luit comme un caillou dans un creux. »

 

« Un caillou dans un creux » par Jérôme Thélot (éditions Manucius/distribution Harmonia Mundi 15€)



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